Sélection bibliographique

Eduardo Carnevale Centre de documentation pour l’alphabétisation et l’éducation populaire du Collectif Alpha

Nous pouvons affirmer que le formateur apprend toujours des apprenants pour autant que « dans sa rencontre avec l’apprenant, il se questionne, modifie ses représentations et se transforme »1. Adopter cette posture a de fortes implications pédagogiques. Ainsi, en alphabétisation populaire, où il est question de collaboration entre formateur et apprenants, celle-ci « dépasse l’entraide entre pairs et s’étend à la relation didactique entre formateurs et apprenants »2. Une pédagogie de l’émancipation exige que le formateur construise ses démarches d’apprentissage en partant de la réalité des apprenants. À cette fin, il met en place les meilleures conditions pour que les apprenants soient acteurs de leurs apprentissages, pour qu’ils prennent la parole et qu’ils soient entendus.

Tout cela est très cohérent pour nos organismes d’alphabétisation populaire qui mettent en œuvre des pédagogies de la transformation (acquisition de savoirs émancipateurs) plutôt que de la transmission.

Nous ouvrons cette sélection avec un premier livre, Apprendre des apprenants, qui se centre entièrement et exclusivement sur cette problématique. Il met en avant l’importance de la relation pédagogique et, au sein de celle-ci, la nécessité pour le formateur de réfléchir et d’adopter une posture d’accompagnement adéquate. Le deuxième ouvrage, Apprendre par la réciprocité, à travers l’expérience des Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs, analyse des pratiques et propose des principes pédagogiques qui favorisent la coopération et l’échange dans la relation d’apprentissage par toutes les parties qui y sont impliquées. Ensuite, une publication collective, Carl Rogers et l’action éducative, montre comment les concepts développés par Carl Rogers alimentent une posture de formateur qui favorise l’échange avec les apprenants ainsi que le développement de leurs capacités dans une relation de confiance. Elle est suivie par Les postures éducatives, ouvrage qui traite exclusivement des différents types de postures que le formateur peut adopter afin de les travailler systématiquement, en toute conscience. La cinquième référence, De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, donne l’exemple d’une relation pédagogique où le dialogue formateur-apprenants est équilibré et dans laquelle ce dernier est sujet à part entière.

Les cinq dernières références ont toutes comme objet des expériences pédagogiques concrètes qui illustrent, chacune à leur façon, la pertinence de baser la pédagogie sur l’écoute des apprenants et la compréhension de leurs vécus. Ainsi, la première, une publication collective intitulée Développer le pouvoir d’agir montre comment, au sein d’un réseau européen, des apprenants et des formateurs ont produit ensemble des savoirs utiles pour les dispositifs de formation et élaboré des revendications politiques pour le droit à l’alphabétisation. Le document qui suit est un livre décrivant le magnifique film de Vittorio De Seta, Journal d’un maitre d’école, qui peut être une source de réflexion et d’inspiration pour un enseignant qui ne veut pas se résigner aux injustices de la société. Nous référençons ensuite un documentaire vidéo, On ne parle pas que de nous, qui montre le résultat d’un atelier théâtre portant sur la condition des femmes migrantes et la question des sans-papiers, construit à partir du vécu et de la parole des participantes. Puis vient un dossier du Journal de l’alpha consacré à un dispositif de formation, Regards croisés, au sein duquel des travailleurs de l’alpha et des apprenants ont produit ensemble, dans un rapport égalitaire, des savoirs sur l’école. Cette sélection se termine par la présentation d’une recherche-action basée sur le récit de vie, L’alphabétisation en question, menée dans une association de Montréal sur l’appropriation de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture par de jeunes analphabètes.

GFEN Dijon (sous la dir. de), Apprendre des apprenants. Contribuer au développement professionnel du formateur, Chronique Sociale, 2017, 108 p.

En se basant sur des pratiques de formation, les auteurs partent du constat que le facteur essentiel de la transformation du formateur provient de sa rencontre avec l’apprenant. C’est la relation pédagogique, en tant que relation dialectique « formateur-apprenants », qui permet d’opérer des réajustements et des transformations de ses pratiques et de mettre ainsi en œuvre une pédagogie de la transformation. Pour ce faire, il faut interroger la posture tant du formateur que de l’apprenant. Ces deux acteurs de la relation pédagogique doivent favoriser une attitude d’accueil réciproque en acceptant de se laisser interpeler l’un par l’autre. À cette fin, le formateur doit se mettre dans une position d’observation participante. Les situations d’apprentissage produisent alors des modifications relativement durables des connaissances et des comportements, tant chez lui que chez les apprenants. Pour les auteurs, le modèle d’apprentissage se basant sur le (socio)constructivisme favorise cette dialectique formateur-apprenants. Pour plus d’efficacité, ils défendent la nécessité d’un contrat didactique entre les deux parties. Celui-ci permettra d’instaurer un cadre sécurisant qui encouragera les apprenants à s’exprimer, à émettre des hypothèses, à prendre des initiatives… Il facilitera aussi une compétence pédagogique du formateur, essentielle dans ce processus, la gestion du couple « régularité/perturbation ». Tandis que la première renvoie à une pratique d’enseignement transmissif « classique », la seconde ouvre sur une pratique autosocioconstructiviste par l’activation de conflits sociocognitifs. Ces deux concepts opposés sont néanmoins solidaires dans la dynamique d’apprentissage. Partant du principe que l’apprenant doit être auteur de son apprentissage, les auteurs posent enfin la question de leur association à la gestion des situations d’apprentissage, voire même des dispositifs de formation.

Le dernier chapitre propose deux ateliers pour nous permettre de nous approprier les avancées théoriques et pratiques formalisées dans les chapitres précédents.

Claire HÉBER-SUFFRIN, Apprendre par la réciprocité. Réinventer ensemble les démarches pédagogiques, Chronique Sociale, 2016, 144 p.

Se basant sur une longue expérience d’un mouvement d’éducation populaire enraciné sur le terrain, les Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs (RERS), cet ouvrage en développe les fondements pédagogiques et propose des pratiques, des productions et des témoignages sur la réciprocité en actes. Le principe de base est le respect des citoyens (apprenants, parents, enseignants, animateurs, artistes, etc.), tous considérés comme porteurs de savoirs à partager. Comme l’écrit Claire Héber-Suffrin à la page 45, « chacun peut (…) se constituer offreur et demandeur de savoirs multiples. Dans une tension positive vers autrui. Cette proposition repose sur une conception des pouvoirs : pouvoirs d’agir, d’apprendre, de se relier, de créer, accessibles à tout un chacun. » Une ingénierie coopérative favorise la réussite des apprentissages. Un modèle théorique permet de réinterroger les pratiques et de les orienter. Cela ne va pas sans des modalités pédagogiques à privilégier : développer des compétences psychosociales, réinventer ensemble des démarches pédagogiques, transformer les métiers de l’éducation et de la formation. Les RERS tissent inlassablement des initiatives locales en plaçant toujours l’homme, comme être social, au centre de son action. Proposer aux apprenants qui veulent se former professionnellement, comme à tous ceux qui s’engagent dans les apprentissages, d’apprendre par la réciprocité, c’est leur présenter des dynamiques cohérentes, des situations pédagogiques efficaces et des cheminements motivants.

À lire en complément : Claire HÉBER-SUFFRIN, Des outils pour apprendre par la réciprocité, Chronique Sociale, 2016, 256 p.

Lire également : Jacqueline MICHAUX, Les Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs (RERS). Une lecture par la réciprocité, in Journal de l’alpha, n° 217, 2e trimestre 2020, pp. 102-118, www.lire-et-ecrire.be/ja217

Jean-Daniel ROHART (sous la dir. de), Carl Rogers et l’action éducative, Chronique Sociale, 2008, 223 p.

Au travers de différentes contributions, ce livre présente les concepts développés par Carl Rogers (notions d’empathie, de considération positive inconditionnelle d’autrui et de congruence), leur impact et leur modalité de mise en œuvre. L’attitude rogérienne, loin de se confondre avec une simple « écoute compréhensive », favorise l’apprentissage et le développement personnel. Cette attitude suppose pour le formateur un lent travail d’attention sur soi afin de rester lucide sur les sentiments contradictoires qui émergent de la relation éducative.

Mentionnons en particulier le troisième chapitre, un texte de Carl Rogers lui-même, L’élève au centre des apprentissages, dans lequel il invite à une véritable démocratie en éducation. Il y compare les caractéristiques de l’enseignement traditionnel dans son rapport au pouvoir avec les conditions d’un apprentissage centré sur la personne. Les implications politiques de cette optique éducative bouleversent autant les enseignants (perte de pouvoir) que les apprenants (prise de responsabilité).

Dans la conclusion de l’ouvrage, Jean-Daniel Rohart lie les onze contributions par un double questionnement : quel sens donner aux pratiques éducatives et sont-elles des facteurs d’aliénation ou de liberté ? L’approche rogérienne répond à cette question en proposant une relation fondée sur la confiance et non sur un système. Si l’objectif est de favoriser la personne dans sa tendance à l’autonomie, « ce serait alors la grandeur de l’école que d’instituer ce qui pourrait la destituer, c’est-à-dire la liberté des sujets cognitifs » (p. 208).

Titoun LAVENIER, Guy LE BOUEDEC et Luc PASQUIER, Les postures éducatives. De la relation interpersonnelle à la communauté apprenante, L’Harmattan, 2016, 220 p.

L’expression « postures éducatives » désigne les grands types de relations qu’un éducateur (parent, professeur, formateur…) peut adopter en fonction des finalités qu’il poursuit. Le plus souvent, ces modes de relation restent implicites. Cet ouvrage prend le parti de les expliciter afin de libérer la créativité éducative. « Pour un éducateur, travailler la relation éducative signifie (…) prendre conscience de ses attitudes spontanées dominantes, des effets qu’elles produisent sur autrui (…) » (p. 46). Les auteurs distinguent six postures regroupées d’une part en postures interindividuelles – l’autorité, l’accompagnement, la négociation et le conseil –, et d’autre part en postures à l’égard de groupes – l’animation et l’orchestration. L’éducateur est invité à les adopter toutes à un moment ou à un autre, donc à varier son type de relation, à « circuler » dans les postures, afin de créer des espaces de liberté pour les apprenants.

De même, dans sa conclusion, les auteurs soulignent que cette approche en termes de posture amène « la clarification des intentions éducatives et de leur sens. Par distinction d’avec une conception illusoire de neutralité qui refuse par principe de reconnaitre et d’accepter l’idée d’une influence éducative », cette démarche « engage l’éducateur à formaliser ses intentions éducatives, à les rendre publiques, à préciser ce qu’il fera et ce qu’il s’interdira de faire, ainsi que la régulation qu’il instaurera avec l’ensemble de la communauté éducative » (p. 187).

Aïda VASQUEZ et Fernand OURY, De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, vol. 1 et vol. 2, Maspero, 1974, 512 p. et 254 p.

Pendant des années, Fernand Oury, instituteur de banlieue, a poursuivi la tâche immense de transformer le monde entre les quatre murs d’une salle de classe. Il s’agissait d’une classe de perfectionnement à Nanterre (dans la banlieue parisienne), celle des « laissés-pour-compte », où viennent échouer tous ceux que rejette le système scolaire dans les marges de la société et (trop) souvent dans l’analphabétisme fonctionnel. Avec ces « individus rebuts », Fernand Oury a tenté de faire une classe, un groupe, quelque chose d’humain. Pour cela, il a non seulement fallu de la constance mais également de la méthode. Et c’est ainsi que l’instituteur, aidé d’une psychologue vénézuélienne, Aïda Vasquez, s’est mis au travail. Empruntant à la psychologie, à la psychosociologie, à la sociométrie, à la psychanalyse et, bien sûr, aux techniques Freinet – dont Fernand Oury était un fervent partisan –, il a élaboré une doctrine, en tâtonnant d’abord, mais qui, peu à peu, a pris forme et contenu, et qui est devenue sans doute l’une des bases les plus solides de la réflexion pédagogique dont on dispose actuellement. Une pédagogie qui repose sur le groupe mais qui, à l’opposé du « laisser-faire » non directif, s’appuie sur des institutions (règles de fonctionnement, réunions, fonctions…) constamment perfectionnées, affinées, évaluées… Ces institutions non seulement répondent aux « besoins ressentis » par le groupe mais, bien plus, elles sont instituantes en ce sens qu’elles mettent chacun en situation de proposer, de décider, d’être intelligent3.

Ces deux tomes racontent la conception et la réalisation de cette expérience, en mêlant les portraits, les descriptions, les imprécations contre le système et les chercheurs en chambre, les réflexions théoriques et les diagrammes.

Lire et Écrire Communauté française (sous la dir. de), Développer le pouvoir d’agir. L’expertise des apprenants et des formateurs au service de l’alphabétisation, Eur-Alpha, 2012, 43 p., www.euralpha.eu/IMG/pdf/broch_frlow.pdf

Cette publication informe sur la manière dont a travaillé le réseau Eur-Alpha4 et les conclusions de cette expérience, notamment des enseignements sur la manière de travailler en groupe mixte (responsables d’association, formateurs et apprenants) et sur le travail en environnement multilingue avec des apprenants. Elle contient également des exemples de pratiques émancipatrices où les apprenants se sont impliqués activement dans les dispositifs de formation. On y voit des adultes en formation mettre en avant des projets dans lesquels ils ont quitté leur statut d’apprenants pour se positionner comme militants du droit à l’alphabétisation.

Deux documents importants accompagnent la brochure :

  • Le Manifesto « la voix des apprenants en alphabétisation en Europe », www.eur-alpha.eu/IMG/pdf/manif_frbat4.pdf, élaboré par les apprenants qui ont participé aux ateliers ou qui ont été consultés dans leurs pays. Une première partie développe les revendications des apprenants, une deuxième précise pourquoi et comment ils veulent apprendre. Elle contient aussi des revendications politiques.
  • La Charte pour la formation des formateurs visant l’émancipation des apprenants, www.eur-alpha.eu/IMG/pdf/charte_frbat4.pdf, élaborée par des formateurs actifs dans le projet, qui rassemble un ensemble de principes, recommandations, constats et réflexions pédagogiques visant à favoriser l’élaboration et le développement de pratiques de formation émancipatrices pour les apprenants.

À lire en complément : Pascale LASSABLIÈRE et Fabrice RAMSEY, Manifesto, un cahier de revendications d’apprenants, construit à l’échelle européenne, in Journal de l’alpha, n°191, novembre-décembre 2013, pp. 68-80, www.lire-et-ecrire.be/ja191

Vittorio DE SETA, Federico ROSSIN et Francesco GRANDI, Journal d’un maitre d’école [livre et DVD du film Diario di un maestro, sous-titré en français], L’Arachnéen, 2019, 132 p. et 4h30

Le film Diario di un maestro a été tourné entre 1971 et 1973 dans une banlieue pauvre de Rome où vivent principalement des familles immigrées du sud de l’Italie.

« À quelques mois du certificat, un maestro [lui aussi venu du Sud] se voit confier la ‘classe-poubelle’ de l’établissement. Taux d’absentéisme élevé, enfants indisciplinés, à peine capables d’ânonner des bribes de connaissances sans aucun sens… Conscient de l’impasse où il se trouve et porté par ses convictions, nous le verrons partir à la rencontre des élèves absents, découvrir leurs conditions de vie dans les bidonvilles. Avec lui, l’école est ouverte : des témoins y entrent, et on en sort pour aller enquêter sur le terrain. La classe devient un collectif. Mais attention, si le maestro rompt avec l’académisme et les discriminations de ses collègues, il ne s’égare pas dans le spontanéisme : il anime le groupe, le stimule par ses questions, lui fixe des contraintes créatrices, organise le travail, pousse les enfants toujours plus loin dans leurs analyses et la précision de leur expression, les aide à construire des concepts… Tout part de leur vécu (la nature environnante, le logement, la délinquance, etc.) – ‘comment et où vivons-nous ? Que vous inspire cette situation ? Pourquoi cette réalité ?’ – pour s’élargir à une connaissance du monde. »

Le livre, quant à lui, « décrit la fabrique technique et artistique du film, puis analyse les circonstances du renouveau éducatif italien ».

Notons que « la spécificité de la situation italienne de l’époque n’empêche pas que les termes du débat sur l’école [et sur la pédagogie] nous soient absolument familiers. Diario di un maestro est à la fois un témoignage, une fiction pédagogique et le modèle d’une utopie par définition toujours actualisable. »

[Extraits de la présentation de Philippe Schmetz sur le site de l’APED : www.skolo.org/2020/08/03/journal-dun-maitre-decole-un-film-de-vittorio-de-seta]

Jérémie PIOLAT (sous la dir. de), On ne parle pas que de nous [DVD], GAFFI/VIDEP, 2009, 14 min.

En 2007 était menée au Gaffi une première expérience d’atelier théâtre. Quatre femmes engagées dans un processus d’alphabétisation, dont des Guinéennes sans papiers occupantes d’églises, se rencontraient et partageaient leurs histoires, fragments de leur parcours de femmes migrantes. Ces récits sont devenus des textes qu’elles ont mis en geste, en voix, en scène, sous la direction d’un artiste, Jérémie Piolat, qui a su donner vie et forme à leurs expressions. Porté par la motivation et la détermination des auteures et interprètes naissait alors le spectacle On ne parle pas que de nous.

Ce spectacle, dont un film a été tiré, a été présenté à plusieurs reprises à l’invitation d’associations, de festivals et de lieux culturels. Le film peut être utilisé comme outil de sensibilisation sur l’exil, la condition de la femme et la question des sans-papiers. Il porte l’écho de réalités vécues par des femmes migrantes, renvoyé par quatre d’entre elles au nom de toutes les autres. Ces quatre femmes y deviennent, pour toutes ces autres, l’exemple du courage (le courage d’avoir osé, osé se raconter, sur scène, publiquement, en chair, en os, en voix) et la preuve que ce vécu de l’exil et de l’immigration au féminin peut s’exprimer, se dévoiler, toucher, interpeler, faire comprendre et dénoncer des situations d’injustice.

À lire en complément : Valérie LEGRAND et Jérémie PIOLAT, Théâtre de femmes en immigratien, in Journal de l’alpha, n°171, novembre 2009, pp. 56-61, www.lire-et-ecrire.be/ja171

Lire et Écrire Communauté française, Regards croisés. Une formation mixte (ex)apprenants-travailleurs, Journal de l’alpha, n°216, 1er trimestre 2020, 133 p., www.lire-et-ecrire.be/ja216

Ce numéro du Journal de l’alpha est entièrement consacré au projet Regards croisés de Lire et Écrire rassemblant, dans un même dispositif d’apprentissage, des apprenants et des formateurs. C’est la dernière de ces formations, qui s’est déroulée en 2017 et 2018 sur le thème de l’école, qui fait plus particulièrement l’objet de ce numéro.

« Au fil des pages, c’est un voyage dans la formation qui vous est proposé : des principes de base aux méthodes et outils, des savoirs construits aux effets pour les participant·e·s, en passant par l’organisation concrète de la formation. Il ne s’agit cependant pas d’un ‘kit pédagogique prêt à l’emploi’ mais de la description d’un processus méthodologique engageant et exigeant, tant pour les animatrices que pour les participant·e·s. Entre l’intention de la coconstruction de savoirs dans des rapports égalitaires et la réalité de la formation, de nombreux écueils peuvent se présenter. En effet, savoirs et pouvoirs sont intimement liés. Ces liens sont construits dans une imbrication entre trajectoires individuelles, familiales et sociales marquées par un fonctionnement social inégalitaire. Il convient donc de mettre en place des dispositifs qui permettent d’en prendre conscience, de les comprendre et de les recomposer autrement. En parallèle de la présentation du processus, c’est aussi un récit qui vous est donné à lire : l’histoire singulière d’un groupe et des personnes qui le constituent. » [Extrait de l’édito de Sylvie Pinchart]

Danielle DESMARAIS (avec la collab. de Louise AUDET, Suzanne DANEAU, Martine DUPONT et Françoise LEFEBVRE), L’alphabétisation en question, Quebecor, 2003, 264 p.

Un groupe d’intervenantes en alphabétisation et de chercheuses ont mené une recherche-action durant plus de cinq ans (1996-2001) dans le cadre d’un organisme communautaire de Montréal, La Boite à lettres. L’objet de leur démarche était le développement et l’analyse de pratiques auprès de jeunes adultes de 16 à 25 ans, de milieu populaire, qui cherchaient à s’alphabétiser après avoir passé une dizaine d’années sur les bancs de l’école.

L’expérience de La Boite à lettres a ainsi mis en avant l’idée d’une « autre éducation », laquelle propose d’améliorer les pratiques d’intervention à partir d’une meilleure connaissance de la nature même du rapport que chaque personne apprenante établit avec notre société de l’écrit. C’est le centre de la démarche : la réappropriation de la lecture comme condition de son propre développement humain et social. Il n’y a pas d’avancement possible si on ne désapprend pas les réactions affectives liées à l’échec. Comprendre son passé, c’est s’en distancier, et le présent en ressort mieux éclairé. La capacité réflexive de l’apprenant s’en trouve réactualisée. Ce dernier devient producteur de sens et s’engage dans une redéfinition de ses rapports sociaux. Cette dédramatisation et ce recadrage des perceptions relatives à son rapport à l’écrit, à soi, aux autres et à la société ont un impact majeur sur la disponibilité affective et intellectuelle du jeune analphabète pour apprendre. Par le récit autobiographique, par exemple, les personnes reprennent progressivement du pouvoir sur leur vie. À La Boite à lettres, le point de vue de l’apprenant l’emporte sur toute analyse. L’auteure et ses collaboratrices ont bien cerné l’objet de la redynamisation des apprentissages : ramener le désir dans le rapport à la lecture et l’écriture.


  1. Françoise DURIEZ, Introduction, in GFEN Dijon (sous la dir. de), Apprendre des apprenants. Contribuer au développement professionnel du formateur, Chronique Sociale, 2017, p. 7.
  2. Jacqueline MICHAUX, Les Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs (RERS). Une lecture par la réciprocité, in Journal de l’alpha, n° 217, 2e trimestre 2020, p. 103, www.lire-et-ecrire.be/ja217
  3. Sur les institutions telles que les conçoit la pédagogie institutionnelle, voir par exemple : Noëlle DE SMET, Raccommoder les accrocs du quotidien ou broder dans la durée, avec les fils de la pédagogie institutionnelle, in Journal de l’alpha, n°208, 1er trimestre 2018, pp. 51-62, www.lire-et-ecrire.be/ja208
  4. Réseau européen d’échanges entre praticiens de l’alphabétisation, apprenants, formateurs, chercheurs… fondé en 2009. Voir : www.eur-alpha.eu/qui-sommes-nous.html