Sélection bibliographique

Aurélie Audemar, Centre de documentation pour l’alphabétisation
et l’éducation populaire du Collectif Alpha

Les témoignages sur les difficultés d’accès à un logement de qualité sont nombreux. L’insalubrité des habitations, leurs prix inabordables, les nombreuses années à attendre un logement social, font partie des préoccupations couramment partagées lors d’une conversation informelle ou lors de temps de formation dédiés à cette question.

Comment aller au-delà de la récolte de vécus de plus en plus douloureux ? De quels aspects s’emparer en profondeur et comment les traduire en démarches pédagogiques ? En guise de pistes de réponses, nous ne pouvons nous satisfaire de ressources rassemblées dans la catégorie « Logement » du centre de documentation. Nous négligerions la dimension systémique du problème que nous formulerons ainsi : pourquoi tout.e citoyen.ne n’a pas droit à un logement décent ?

C’est ainsi que cette sélection bibliographique a été alimentée par différents rayonnages : féminisme, histoire sociale, citoyenneté-démocratie, lutte contre les discriminations, interculturalité, exclusion-pauvreté, économie, éducation permanente, vie pratique, lecture-romans, art et pédagogie. Elle est construite autour de trois axes de réflexions, choisis selon des questions entendues, des intérêts observés, des évidences à creuser et des avenirs désirables à inventer.

Le premier axe s’interroge sur qui profite du mal logement ? En effet, le logement est rarement défendu comme bien public. L’expression « le marché du logement » annonce comme un état de fait immuable que, comme tout produit dans un système capitaliste, il peut être objet de spéculation, source d’enrichissement de quelques-un·e·s au détriment du grand nombre. Les travaux de Ian Brossat puis de Culture & Démocratie avec le collectif Esquifs ainsi qu’une recherche-action menée à Molenbeek apportent des éclairages sur la culture de la prédation des espaces de vie.  Ces ouvrages offrent des clés pour mieux comprendre les mécanismes de privation du droit au logement d’une grande partie de la population. Il est notamment question du phénomène de gentrification de quartiers populaires, de la pratique massive de la plateforme Airbnb et du principe de la dette et du surendettement comme élément essentiel du capitalisme financier.

Le deuxième axe de réflexion proposé est celui du chez soi, de l’espace intime comme lieu d’exploitation classiste et genrée. Il s’agit d’appréhender, le logement, l’espace privé, non pas seulement comme un refuge, mais dans la continuité des inégalités sociétales. Il est abordé à la fois dans une perspective féministe et en mettant au centre, la question des classes sociales. Mona Chollet se penche sur le travail des femmes dans l’espace domestique. Bénédicte Verschaeren propose une démarche pédagogique sur cette même problématique en partant de l’observation d’une maison bourgeoise au siècle passée, La Maison Autrique, pour ensuite faire le parallèle avec aujourd’hui et l’emploi des personnes, majoritairement des femmes, en titres-services.

Contre le fatalisme, le dernier axe invite à ouvrir les imaginaires, à aller à la rencontre de différentes formes d’expressions artistiques pour observer, raconter, partager, inventer. Livres de photos, expositions et capsules sonores offrent des portraits intimistes et symboliques des diverses manières d’« habiter ». Un très court roman sous forme d’album illustré raconte du point d’une vue d’une enfant, le sans-chez soirisme. Puis deux démarches pédagogiques en alphabétisation sont partagées. L’une décrit comment travailler à partir d’un livre de portraits photos de Bruxellois dans leur espace de vie. L’autre, « Le logement oser l’utopie » fait se croiser récit oral et création plastique. Les deux derniers ouvrages sont des propositions pédagogiques et artistiques d’observation et de créations d’espaces de vie.

Lire et Ecrire Bruxelles et La Rue asbl, Et nous alors ? On va habiter où ? Dans le canal ? : Une recherche-action participative sur la gentrification à Molenbeek, Lire et Ecrire Bruxelles coord. et édition, 2024, 136 p.

Ce livre présente un travail de recherche-action participative sur la gentrification qui a été mené de janvier 2022 à mars 2024 pendant une formation en alphabétisation populaire à l’asbl La Rue.

Il permet de mieux comprendre ce qu’est la gentrification et d’y faire face à Bruxelles et dans toutes les villes où le logement est devenu une simple marchandise destinée à enrichir les plus riches au détriment des classes populaires.

Durant plus de deux années, des ateliers créatifs ont été organisés par Marina Lopez, artiste plasticienne, et Abdelkader Hibbane, peintre et calligraphe.

Le groupe a été encouragé par sa formatrice, Marie-Claude Kibamba.

Jacqueline Michaux, chargée de recherche à Lire et Écrire Bruxelles, a animé les ateliers de recherche-action et de création textile et a assumé la coordination du projet.

Ian Brossat, Airbnb, la ville ubérisée, La ville brûle, 2018, 159 p.

« Airbnb, Google, Amazon et Uber entendent fabriquer la ville du XXIe siècle. Va-t-on les laisser faire ? Loin de sa promesse initiale, l’économie du partage est devenue une économie de la prédation : Paris a vu 20 000 de ses logements disparaître au profit de la plateforme Airbnb, dont elle est la première destination mondiale.

Données inédites à l’appui, Ian Brossat explore les conséquences de cette « ubérisation de l’urbain » : spéculation, loyers plus chers, éviction des habitant.es des centres-villes et ségrégation spatiale, standardisation et disparition des commerces, transformation des temps de vie et des usages de la ville, perte d’identité des quartiers…

Pour lutter contre l’ubérisation des villes, il faut se reposer la question des géographies du pouvoir. Une question d’autant plus urgente qu’Airbnb n’est que la face émergée d’un iceberg beaucoup plus vaste : Google se lance dans la promotion immobilière, Amazon se positionne en concurrent de tous les commerces, du vêtement à l’aliment, Uber privatise la circulation en ville. Ces acteurs, plus puissants que des États, entendent transformer nos villes en marchés, et peser sur les lois pour maximiser leurs profits. Allons-nous les laisser faire ? »

Culture & Démocratie et le Collectif Esquifs, Trop chère la vie : Récits, outils, perspectives sur les dettes de vie courante, Culture & Démocratie, 2023, 64 p.

Culture & Démocratie a déjà publié, en 2019, l’ouvrage Neuf essentiels sur la dette, le surendettement et la pauvreté.

Cette étude, fruit d’une première collaboration entre Culture & Démocratie et le collectif Esquifs, proposait une sélection d’une quinzaine de livres, présentés et commentés, nécessaires à la compréhension de la problématique du surendettement. Une introduction d’Esquifs rendait compte du chemin de pensées que ce collectif de non-expert·es avait entrepris. S’y développait le parcours documentaire qu’ils et elles avaient mené sur ces questions via notamment un dispositif de lecture en commun issu de l’éducation populaire : l’arpentage. Ces recherches formaient le terreau d’où émergerait une pièce de théâtre de Rémi Pons, alors encore en gestation : Apnée.

C’est dans la suite logique de cette première collaboration que Culture & Démocratie s’associa à l’organisation de la semaine « Trop chère la vie » du 6 au 12 juin 2022 au Centre culturel Bruegel ainsi que dans l’édition du présent ouvrage. Imaginé comme un outil, cette publication reprend les principales thématiques travaillées tout au long de la semaine — dette et logement, dette et santé, dette et précarité féminine. Vous pourrez y lire des compte-rendus d’ateliers, des récits de performances, des extraits de la pièce Apnée ainsi que des contributions plus analytiques. Vous trouverez aussi en fin d’ouvrage, un plaidoyer, des propositions pour demain imaginées avec des membres de l’asbl Trapes.

Mona Chollet, Chez soi : Une odyssée de l’espace domestique, Zones, 2015, 322 p.

Le fait d’entretenir son intérieur est dévalorisé, et même délégué dès qu’on le peut.

Encourager le service à la personne et les emplois de type « homme ou femme de ménage », c’est créer de l’activité en période de crise (car l’inactivité, c’est mal) mais ces emplois sont dépréciés, vus comme « bas de gamme » et peu valorisés au sein de la société. Et qui, dans un couple ou une famille, s’occupe encore principalement du travail domestique et souffre à la fois de sa dépréciation et de la manière dont il accapare le temps ? Les femmes, malheureusement.

Mona Chollet raconte comment, du XVIIème au XXème siècle, la société a peu à peu inculqué aux femmes ce rôle de maîtresse de maison, a installé la glorification du rôle de l’épouse, si bien qu’il est imbriqué dans la construction de l’identité personnelle au point qu’on essaye de faire croire qu’il s’agit de quelque chose de « naturel ». Avec une ironie grinçante, elle interroge la notion de tâches viriles et de tâches féminines : si vraiment ce sont des choses propres à chaque sexe, est-ce qu’une femme doit arrêter de se brosser les dents parce que son compagnon le fait ? Elle fait un constat encore plus alarmant : le travail des femmes ne les a pas débarrassées des tâches domestiques, au contraire !

Il a augmenté leurs responsabilités, et a doublé la charge de travail.

Bénédicte Verschaeren, Espaces de vie : des inégalités dans le logement hier et aujourd’hui, Avec comme lieu ressource La Maison Autrique, Le Collectif Alpha asbl, 2024

Le point de départ de ce travail était le souhait des apprenants de mieux connaître la Belgique, de mieux comprendre là où ils sont. D’autre part, certains avaient un questionnement précis sur l’histoire sociale, concept déjà entendu par ailleurs, dont ils ne comprenaient pas le sens.

Le thème des espaces de vie permet de faire des liens entre les enjeux de société en 1900 et ceux d’aujourd’hui, d’analyser plus finement la société actuelle.

Ce dossier aborde les thèmes suivants :

  • Les maisons bourgeoises bruxelloises en 1900, leur fonction-nement et le personnel de maison.
  • De la domesticité aux titres services, en passant par la domesticité contemporaine.
  • Les habitations ouvrières, depuis les impasses du 19e jusqu’à aujourd’hui.

     Le travail sur ces thèmes est proposé en deux parties. La première s’articule autour d’une visite de la Maison Autrique pour se construire une image du passé, avec une analyse des espaces de vie, du travail et de la domesticité.

     La seconde partie traite de ce même thème mais en s’intéressant aux enjeux sociétaux actuels et en se penchant sur le système des titres-services.

Herman BERTIAU (Photographe), Sylvie NYS, Pierre MERTENS (Préfacier), Bruxelles Intime :  livre photos Bruxelles Intime, Husson, 2017, 150 p.

Cent cinquante photos, en noir et blanc, de Bruxellois d’adoption ou de naissance, dans leur intérieur. Tous les milieux, toutes les cultures et tous les styles se côtoient dans cette fresque du Bruxelles de la fin des années 80.

Marie Fontaine, dans une édition du Collectif Alpha a créé une démarche pédagogique téléchargeable, Bruxelles Intime : Imaginer un logement, un habitant, à partir de 25 photos tirées de ce livre. Elle propose des activités de description de logements et de personnes (oralement ou par écrit), en s’intéressant aux ressentis face à une photo, aux interprétations de son contenu. Une attention particulière est portée à l’observation de moments d’évocation, en référence à la gestion mentale. La suite de la démarche est une invitation à imaginer les éléments manquants de la photo (logement ou habitant) : « Qui habite là ? » et « Où habite cette personne ? ».

Habiter (titre provisoire), Portraits photos et sonores sur le droit au logement à Bruxelles, une exposition immersive en français, anglais et néerlandais, Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat (RBDH), 2023.

Cette installation itinérante est une invitation à rencontrer Simona, Jules, Sofie ou Mohammed… Chaque portrait photo est accompagné d’un portrait sonore. Ces témoignages sont une clé pour mieux comprendre le logement à Bruxelles, appréhender les enjeux sociétaux et les changements qui modifient lentement mais profondément notre capitale. Ils et elles témoignent, se confient, partagent leur expérience.

A la croisée du réel et de l’imaginaire, l’audio qui accompagne l’image propose et invite l’auditeur·rice à se plonger dans un univers et à expérimenter une relation « plus personnelle » avec le droit au logement ; en traduisant de façon plus humaine les chiffres, statistiques ou autres données cartographiées de l’état du logement à Bruxelles aujourd’hui. Nous ne vous parlerons pas de 5.313 personnes sans abri mais de Jean-Michel. Il ne s’agit pas de 8.300 logements déclarés insalubres mais de l’appartement de Simona…

Il est possible d’accueillir l’exposition et de consulter le matériel de l’exposition en ligne : http://rbdh-bbrow.be/

Bénédicte Verschaeren, Le logement, oser l’utopie pour agir,  Le Collectif Alpha asbl, 2023

Le point de départ de cette réalisation sont les réflexions, les questions, les affirmations, les demandes, les commentaires que les personnes en formation ont exprimés par rapport à leur logement. La démarche proposée dans ce dossier est en deux parties.

La première étape propose tout d’abord un retour dans le passé, une mise en récit du logement de son enfance pour lui en donner une forme artistique. Le travail évolue vers un état des lieux sur les logements actuels avec ses nombreuses insatisfactions et difficultés.

Ceci mène à la deuxième partie du dossier avec des pistes pour envisager la lutte pour défendre ses droits, avec pour étendard : « Oser avoir des rêves c›est aussi oser l’utopie. »

Elsa VALENTIN, Lydie SABOURIN (Illustrateur), Mina en juin, Beurre Salé, 2018, 48 p.

Mina n’a pas de maison avec des murs et un toit. C’est sa maman sa maison. Chaque nuit, avec sa soeur Fanette, elles dorment sur un canapé chez tante Lulu, ou sur un matelas dans une chambre d’ami. Chaque matin, avant de partir au travail, maman part chercher un toit pour y abriter ses enfants. Elle va de bureau en guichet, remplit des dossiers, coche les bonnes cases… En vain. Jusqu’au jour où une rencontre changera le cours de leur vie.

Béatrice LAURENT, Michèle MAZALTO, Drôles de maisons : Construction, espace, identité(s), Scérén Canopé, 2015, 118 p.

Cet ouvrage destiné à l’origine au monde scolaire constitue une source très inspirante pour l’alphabétisation des adultes.

Tout à la fois lieu de l’intime, de partage ou de pouvoir, la maison concentre des enjeux forts : affectifs, symboliques, architecturaux, écologiques… Où ai-je envie de m’installer ? De quel espace ai-je besoin pour être « chez moi « ? Comment habiter cet espace pour me sentir bien ? 33 ateliers, déclinés du cycle 1 à la terminale, engagent les enseignants et leurs élèves à questionner les processus de construction, l’organisation de l’espace et l’identité de chaque maison créée. Du plan au nid, du squat à la cabane, du pliage simple à l’installation complexe, tous les formats sont convoqués pour arpenter, expérimenter et vivre l’habitat. Porter un regard oblique sur l’architecture, orienter résolument les élèves vers le rêve, l’éphémère, l’insolite ou le nomade, cultiver une attitude de curiosité pour les architectures passées, contemporaines, d’ici ou d’ailleurs, sont au coeur de la démarche des auteurs.

Elisabeth LEVASSEUR, Arts visuels & Architecture, Scérén Canopé, 64 p.

Les ouvrages « Arts visuels & » mettent en relation un thème avec la pratique des arts visuels. Ils proposent des ateliers immédiatement utilisables en classe ainsi qu’une transversalité qui place les arts visuels au carrefour des autres disciplines.

  • En invitant les élèves à porter un regard nouveau sur leur environnement architectural, Arts visuels & Architecture met en relation cette approche avec des pratiques plastiques et des rencontres d’artistes.
  • La découverte de l’architecture, de ses principaux composants et du processus architectural se fait dans le temps et dans l’espace. Patrimoine ancien et architecture contemporaine sont invoqués pour contribuer à une ouverture sur le patrimoine mondial.
  • Les apports culturels et techniques, enrichis d’un vocabulaire adapté, sont articulés avec 29 propositions d’activités plastiques mises en œuvre dans le cadre de projets pluridisciplinaires.

Sélection bibliographique du comité de rédaction

Pour continuer de lire et de creuser…

Collectif Rosa Bonheur,  La Ville vue d’en bas. Travail et production de l’espace populaire, Éditions Amsterdam, 2019

Mathieu Van Criekingen, Contre la gentrification : convoitises et résistances dans les quartiers populaires, La Dispute, 2021

Ces deux ouvrages proposent une lecture critique des transformations urbaines en mettant en lumière les effets de la désindustrialisation sur les classes populaires et en analysant les logiques de gentrification à l’œuvre dans ces phénomènes et les rapports de domination qui les sous-tendent. En plus de cet aspect critique, les deux livres s’attachent aussi à révéler des formes de résistance concrètes face à ces dynamiques.  Ils appellent à une repolitisation des enjeux urbains face aux discours technocratiques qui occultent la conflictualité sociale.

Bonne lecture !

Centre de documentation
148 rue d’Anderlecht 1000 Bruxelles
02 540 23 48
cdoc@collectif-alpha.be