Au Centre de documentation du Collectif Alpha, il est courant que des personnes qui animent quotidiennement des formations s’adressent à nous car elles sont à la recherche d’outils, de documents prêts à l’emploi qui les aideraient à sortir de leur désarroi. Il est par contre très rare que des lecteur·rice·s expriment le souhait de se procurer des ressources qui les aideraient à analyser leurs pratiques. Serait-ce alors à contrecourant, voire inutile de parler d’analyse réflexive sur les pratiques ? D’autant plus à une époque où, après les confinements d’une période de pandémie, le « monde d’après » retrouve sa course effrénée, où le temps semble manquer face à tout ce qui nous attend chaque jour dans nos vies professionnelles, où les « gens de terrain » doivent faire, produire, animer, former, coordonner, diriger, calculer, programmer, planifier et où le temps de l’analyse devient un luxe.
Pourtant, quand on lit les auteur·rice·s convoqué·e·s pour constituer cette sélection, avoir l’audace de proposer régulièrement de se poser, de réduire la vitesse, de lever le nez du guidon et de penser ce qu’on fait s’avère nécessaire, non seulement pour rendre nos pratiques plus efficaces et plus pertinentes quand on est engagé dans des actions visant une société plus égalitaire et démocratique, mais aussi pour rester au plus près de ce qui constitue l’essence de notre humanité et la raison d’être de nos actions.
Dans l’article S’éduquer : un enjeu existentiel, le chercheur en sciences de l’éducation René Barbier1 nous entraine vers ces horizons désirables : « S’éduquer, c’est d’abord et principalement, revenir à soi, sur le sens que l’on donne à sa vie reliée à celle des autres et du monde. S’éduquer développe un véritable art d’apprendre. (…) Parler de l’art d’apprendre nous invite, d’emblée, à concevoir l’art différent de la simple technique. (…) La technique renvoie à l’objet plus qu’à l’être humain. Elle vise l’utilité fonctionnelle. Elle est fondamentalement liée à l’enseignement et à l’imitation du maître. (…) L’art nous entraine dans un tout autre domaine. (…) L’art d’apprendre est le processus singulier et unique d’éducation qui conduit un sujet à se rendre disponible ontologiquement2 pour se sentir relié au mouvement créateur du monde. Par cet état d’esprit, le sujet reçoit une multitude d’informations, sans cesse en création, et les organise, souvent avec l’aide d’autrui, dans ce qu’il nomme : ‘se former’. »
« Je vais commencer la semaine prochaine comme bénévole dans une association et je vais devoir animer une formation alpha dans un groupe de femmes et je n’ai encore jamais fait ça. » « J’ai un groupe alpha tous niveaux mais j’ai une formation en FLE. » « Je vais avoir un groupe oral débutant. Ils ne savent ni lire ni écrire. Je ne sais pas comment démarrer. Avant, je n’avais que des groupes d’écrit. » « À la rentrée, je vais former des étudiants à la didactique de l’écrit en FLE et alpha, je n’ai jamais travaillé dans ce domaine. »
Ces exemples entendus lors de mon travail au Centre de documentation et rapportés ici expriment en quelques mots le degré de détresse et d’urgence qui peut pousser non pas à chercher mais à trouver une solution rapide à une situation professionnelle inconfortable. Derrière ces demandes d’une simplicité apparente se cache la complexité que toute situation peut recouvrir. En tant que documentaliste, nous n’irons donc pas nous précipiter vers « la » méthode ou un manuel mais nous demanderons à la personne de décrire sa réalité professionnelle : les types de groupes qu’elle a en charge, à quel rythme… ; les visées et attendus de l’institution ; ceux des participant·e·s ; ce qu’elle a vu qu’ils, elles savent faire, dire, écrire, lire ; les supports avec lesquels elle a l’habitude de travailler ; les approches qu’elle privilégie. Le travail réflexif a ainsi déjà commencé : l’analyse du contexte dans lequel chacun·e agit et un aperçu des ressources à disposition permettent de dessiner le cadre de l’action et les possibles ou impossibles qu’il pourrait offrir.
Nous leur proposons ensuite des documents de référence qui croisent différents aspects de nos métiers : des ouvrages qui peuvent accompagner réflexions et postures professionnelles, des démarches dont l’intérêt est d’en tirer les grands principes pour pouvoir en construire de nouvelles adaptées à ses propres réalités, des ressources documentaires sous différentes formes autour des problématiques sur lesquelles les personnes travaillent. C’est ainsi que la recherche de réponses immédiates se transforme petit à petit en questionnements, que la construction de pratiques peut être envisagée comme un processus et que l’art d’apprendre est en route.
À l’instar de cette expérience très brièvement relatée, issue du Centre de documentation, cette sélection bibliographique partage des écrits de différents types pour inviter à un travail réflexif seul et en équipe. Elle s’adresse à tou·te·s : praticien·ne·s de la formation ou personnes engagées dans d’autres métiers et qui participent à construire et à offrir des formations de qualité en alpha. Elle donne des pistes de réponses à ce qu’est une analyse de pratiques et comment faire pour comprendre, améliorer, transformer ses pratiques.
Les quatre premiers ouvrages et articles (pp. 91-94) apportent un ancrage théorique aux démarches réflexives et proposent des approches individuelles tenant compte des conditions dans lesquels les acteur·rice·s de l’éducation développent leurs pratiques. Viennent ensuite deux documents (pp. 95-96) qui nous font part de démarches d’analyse à l’échelle d’une équipe et/ou d’une institution. L’ouvrage suivant (p. 97) reprend une série de fiches-animations pouvant alimenter des dispositifs de formation. Enfin, les travaux des deux dernières autrices (pp. 98-99) mettent au centre l’importance de la narration des expériences et des conditions qui la rendent possible.
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Yves LENOIR, Réfléchir dans et sur sa pratique, une nécessité indispensable, Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke / Commission scolaire de la Région de Sherbrooke, www.usherbrooke.ca/creas/fileadmin/sites/creas/documents/Publications/Destinees_aux_professionnels/Analyse_re__flexive-Outil1_Lenoir.pdf, 22 p.
Ce texte d’Yves Lenoir peut faire office d’introduction à tous les ouvrages sur la question, et ce pour plusieurs raisons. Il a tout d’abord l’avantage de décrire et d’expliciter en quelques pages ce qu’est une analyse réflexive. Aussi, sa forme dialoguée, un échange entre deux collègues enseignantes, rend le contenu très accessible. Il est en effet construit à partir des questionnements de l’une, candide, qui interroge l’autre dont l’expertise sur la question ne fait aucun doute, tant elle sait rebondir sur les exemples tirés de la pratique tout en introduisant les références théoriques nécessaires à la compréhension du concept. C’est ainsi qu’en suivant le fil de leur conversation, à partir du pourquoi recourir à l’analyse réflexive, on chemine notamment à travers ce qui l’empêche, ses apports, une définition, une grille d’analyse de pratiques, les conditions à son usage. L’autre intérêt de cet article est sa bibliographie : elle reprend des ouvrages-clés dont ceux de Philippe Perrenoud, sociologue de l’éducation, qui a écrit plusieurs livres de référence sur la question.
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Jean DONNAY et Evelyne CHARLIER, Apprendre par l’analyse de pratiques. Initiation au compagnonnage réflexif, Presses universitaires de Namur / Éditions du CRP, 2006, 190 p.
Tout·e praticien·ne accumule avec « l’expérience sur le tas » un savoir sur son métier, ses relations avec les autres, son institution et sur soi-même. Ce savoir est souvent implicite. L’enjeu de l’apprentissage par les pratiques est de rendre ce savoir explicite pour permettre au praticien, à la praticienne de se développer professionnellement, d’avoir une meilleure prise sur soi-même et sur ses situations de travail (empowerment) afin de continuer à apprendre de façon autonome.
Mettre des mots sur ce qu’on fait et apprendre à partir de ses situations de travail peut s’apprendre. C’est l’enjeu de cet ouvrage. Il synthétise et illustre près de 20 années d’accompagnement de professionnel·le·s, novices ou expérimenté·e·s dans les domaines de l’éducation et de la formation. Il formalise une démarche d’analyse de pratiques ainsi que le rôle et les attitudes du compagnon réflexif.
Ce livre s’adresse à des professionnel·le·s de l’éducation, enseignant·e·s, formateur·rice·s, conseiller·ère·s ou responsables de formations.
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Jack MEZIROW, Penser son expérience, développer l’autoformation, Chronique Sociale, 2001, 264 p.
L’expérience est au cœur de la formation de l’adulte que ce soit dans sa vie privée, professionnelle ou citoyenne. Par l’expérience, l’adulte est en interaction avec le monde des choses, le monde social et le monde subjectif. L’expérience est construite par celui, celle qui la vit. Elle ou il peut la subir mais elle ou il peut aussi s’appuyer sur cette expérience pour apprendre, évoluer, se réaliser et pour agir sur l’environnement matériel et social. Mais comment développer notre aptitude à l’autoformation par l’expérience ?
L’auteur identifie les biais (épistémologiques, socioculturels et psychologiques) qui peuvent fausser notre perception des faits, limiter notre compréhension des problèmes et amoindrir notre capacité d’agir. Il montre comment le dialogue rationnel et la pensée critique donnent des outils pour combattre les préjugés et résister aux stéréotypes, idées toutes faites, idéologies, routines qui nous gênent dans notre compréhension de la réalité. Il nous invite à une autoformation émancipatrice, individuelle et collective qui libère nos capacités créatives et développe notre pouvoir d’agir.
L’auteur s’adresse aux formateur·rice·s d’adultes, chercheur·euse·s et praticien·ne·s, aux mouvements d’éducation populaire et, plus généralement, à tous les adultes qui désirent tirer parti de leur expérience pour mener une vie plus libre et plus riche.
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Maria-Alice MÉDIONI, Concevoir sa pratique : une activité complexe ou comment, entre reprise et rupture, créer du nouveau, in Dialogue, GFEN, n°175, J’enseigne donc je conçois, janvier 2010, pp. 16-19
Dans cet article, Maria-Alice Médioni part d’une série de questionnements pour définir le verbe « concevoir » dans son sens général et en décliner les différents aspects quand il s’agit de concevoir sa pratique. Elle décrit alors en quoi concevoir sa pratique est faire œuvre de création, en quoi cela signifie aussi résoudre des problèmes, et explicite en quoi il s’agit d’anticiper les contraintes et les imprévus. Elle termine par un autre aspect essentiel : concevoir sa pratique, c’est entrer dans une posture réflexive et éthique. « L’enseignant ou le formateur, s’il ne veut plus se contenter de reproduire des routines à l’identique, doit être capable de s’adapter à toutes les situations, en s’appuyant sur la capacité à analyser et à interroger le sens et la finalité de ses actions pour les réajuster selon les circonstances. »
Dans ce texte est aussi partagée la manière dont la posture réflexive des enseignant·e·s est travaillée au sein du secteur Langues du GFEN.
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ITECO, Systématisation d’expériences, Carnets pédagogiques d’Antipodes, n°23, novembre 2022, www.iteco.be/revue-antipodes/systematisation-d-experiences, 121 p.
« Systématiser les expériences signifie comprendre pourquoi un processus se développe de telle manière et reconstruire ce qui s’est passé dans ce processus » écrit Oscar Jara, expert en éducation populaire et systématisation au sein du Centre d’études et publications Alforja, basé à San José (Costa Rica). Son article fait partie d’un ensemble de textes rassemblés au sein de ce numéro des Carnets pédagogiques d’Antipodes consacré à la systématisation d’expériences. L’intitulé de sa contribution, Le défi politique d’apprendre de nos pratiques, introduit l’idée qu’au-delà de la valorisation de l’expérience des individus et des groupes, il s’agit de la question de la valeur attribuée aux savoirs expérientiels et au pouvoir qu’ils donnent. Il y décrit les modalités, les processus méthodologiques, les conditions pour pouvoir systématiser, le défi de la production de connaissances et le sens historique et politique que peut prendre la systématisation d’expériences. « La systématisation, en tant qu’exercice rigoureux d’apprentissage et d’interprétation critique des processus vécus, reste encore une tâche à accomplir et aujourd’hui – plus que jamais – elle peut contribuer, d’une manière décisive, à recréer les pratiques des mouvements sociaux et à rénover la production théorique des sciences sociales. »
Des exemples de systématisation sont aussi à découvrir dans ce numéro dont celle menée au sein de l’asbl Vie Féminine.
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Véronique ALBERT, Gérard PIROTTON et Viviane SKA (coord.), Supervisions collectives. Croisements des pratiques, des regards et des savoirs, CESEP, 2006, 160 p.
Au cœur de la supervision, c’est la réflexivité des professionnel·le·s qui est sollicitée. Les pratiques de supervision sont multiples et des dérives existent.
Quel est le cadre éthique qui permet le développement d’une pratique de supervision où les supervisé·e·s sont dans une position d’acteur·rice·s ? Comment inscrire la supervision dans une démarche d’éducation permanente ? Que met-on au travail dans la supervision et dans quelles perspectives ? Qui sont les superviseur·euse·s ? Au service de qui, de quoi travaillent-ils, travaillent-elles ? C’est autour de ces questions et de bien d’autres encore que se sont retrouvés le CEFOC, le CESEP et le CIEP3 avec la volonté d’ouvrir le débat et de construire ensemble, et avec d’autres acteur·rice·s concerné·e·s, des balises autour de la supervision collective dans le non-marchand. Cela a donné lieu à la mise en place d’un séminaire d’échanges entre superviseur·euse·s et à une journée de réflexion ouverte à tou·te·s les acteur·rice·s, des professionnel·le·s aux responsables politiques. L’ouvrage présente les interpellations sur des aspects essentiels de la supervision collective issues de cette journée, et reprend les idées fortes qui en sont ressorties.
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Evelyne CHARLIER, Jacqueline BECKERS, Séphora BOUCENNA, Sandrine BIEMAR, Nathalie FRANÇOIS, Charlène LEROY, Comment soutenir la démarche réflexive ? Outils et grilles d’analyse des pratiques, De Boeck, 2020, 124 p.
Apprendre à partir de ses pratiques et mener une réflexion en vue de se développer professionnellement nécessitent la mise en place de dispositifs de formations spécifiques.
L’ouvrage propose des outils, des démarches et des dispositifs de soutien à la démarche réflexive qui pourraient alimenter des dispositifs de formation des travailleur·euse·s. Son propos est de les amener à poser un regard réflexif sur des situations professionnelles qu’elles et ils rencontrent, sur leur posture professionnelle, ainsi que sur l’organisation dans laquelle elles et ils agissent. Afin qu’elles et ils puissent vivre une démarche de réflexivité partagée ou individuelle, réguler leurs pratiques et orienter leur action professionnelle.
L’ouvrage décrit les composantes d’une analyse de pratiques et décompose 12 outils. Pour en citer quelques-uns : la méthode narrative ; l’entretien de régulation et l’autoconfrontation accompagnée ; le groupe de codéveloppement professionnel ; la démarche d’analyse de groupe ; l’analyse de cas vidéo ; le journal de réflexivité.
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Mireille CIFALI, Transmission de l’expérience, entre parole et écriture, https://mireillecifali.ch/Articles_(1976-1996)_files/transmission.pdf, 22 p.
Mireille Cifali a écrit de nombreux ouvrages que nous avons au Centre de documentation. Nous ne cesserons jamais de la citer tant son apport est précieux. Nous faisons ici le choix de partager un article qui nous permet d’accéder au plus vite au cœur de sa pensée et de ses pratiques et donne envie d’en savoir plus. « Pourquoi les savoir-faire, les pratiques, les métiers n’ont-ils pas d’écriture propre et se font coloniser par des théoriciens venus d’ailleurs qui finissent par écrire à leur place ? » interroge-t-elle. C’est ainsi qu’elle propose une réflexion autour de la mise en paroles et en écrits d’expériences, pose le cadre éthique que cela exige pour éviter « une écriture de commande » de type rapport « où on ne met rien de soi, où on cherche surtout à se conformer, à élaguer ce qui pourrait être dangereux, à se censurer », une écriture qui alors « ne produit ni de la connaissance, ni une formation pour soi, mais tout au plus une formation à une intelligence institutionnelle ». Elle montre « l’importance des espaces pour que des praticiens puissent écrire, penser, se former sur le temps de travail » et explicite le travail d’écriture qu’elle a mené avec des étudiant·e·s dans son contexte professionnel. Parce que l’analyse de pratiques devient une mode, elle exprime « sa crainte qu’on ne répète le rapt par les théoriciens de l’expérience des praticiens ».
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Martine LANI-BAYLE (dir.), Mettre l’expérience en mots. Les savoirs narratifs, Chronique Sociale, 2019, 247 p.
Depuis les années 1990, une démarche dite « clinique-dialogique » est apparue et s’est développée en sciences de l’éducation, notamment à l’université de Nantes. Elle fait le lien entre la mise en mots de l’expérience et la production de savoirs : « Quand l’expérience individuelle se dit et s’écrit, elle nous renvoie à cette conviction formulée par Carl Rogers dans les années 1950 selon laquelle ‘le plus intime en chacun de nous est aussi le plus universel’. En traversant tous les champs de l’existence humaine, le récit de vie, quand il passe sous la formulation scientifique de ‘savoirs narratifs’, contribue à structurer ce qui était à dire, ce qui était tu, et à l’inscrire dans une histoire collective qui le dépasse. »
Les chapitres 7 et 8 de la deuxième partie de l’ouvrage, De la scolarité à la formation tout au long de la vie, s’emploient à montrer les effets de la « narrativité en didactique professionnelle » ainsi que la force de « la narration comme mode de manifestation des savoirs en contexte de Validation des Acquis de l’Expérience ».
- Cet article n’est plus disponible en ligne mais nous en avons un exemplaire dans notre centre de documentation. Concernant René Barbier, voir : https://fr.wikipedia.org/wikiRen%C3%A9_Barbier_(chercheur)
- Dans le sens de « être », au contraire de « paraitre ».
- Centre de Formation Cardijn, Centre Socialiste d’Éducation Permanente et Centre d’Information et d’Éducation Populaire (du Mouvement Ouvrier Chrétien).