Dans ce numéro, un petit tour d’horizon1 de l’alphabétisation chez nos voisins proches ou géographiquement plus lointains, avec qui nous partageons l’attention pour ces publics adultes souvent « invisibilisés », en difficulté avec les langages fondamentaux et compétences de base.
Il ne s’agit pas de faire une étude comparative des dispositifs de chaque pays, mais plutôt de prendre la température des questions qui se posent dans « leur secteur de l’alpha » et des réponses qui s’y construisent. L’idée est celle du voyage : aller à la découverte et revenir à notre propre terrain d’action pour le regarder un peu différemment et avec d’autres outils.
Comme souvent en alphabétisation, les 2 premières questions qui se trouvent à être explorées sont des questions de définition : qui ? (les publics concernés) et quoi ? (les dispositifs d’apprentissage).
Du côté des publics, le « qui » se pose de manière très différente selon les contextes de vie. La contribution de l’ONG Congodorpen nous emmène à prendre la mesure de l’impact du genre dans la persistance et la reproduction de l’analphabétisme dans une région rurale du Congo. Les filles et les femmes sont largement touchées par le non-accès aux apprentissages de base.
Lire et Écrire Suisse romande travaille spécifiquement avec des personnes illettrées et francophones (de niveau A2 à B1 à l’oral selon le Cadre européen commun de référence pour les langues). Tout comme en France, il existe une distinction significative entre les dispositifs pédagogiques, organisationnels et politiques développés pour l’analphabétisme et ceux concernant l’illettrisme. Au Grand-Duché du Luxembourg, les 2 réalités sont coordonnées par le même organisme étatique : le SFA – Service de formation des adultes – qui dépend du Ministère de l’Éducation nationale.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, en concertation avec les acteurs du secteur, les responsables politiques et institutionnels ont fixé une définition commune en 20212. L’alphabétisation intègre un volet francophone et non francophone, elle concerne les publics qui ne maitrisent pas les langages fondamentaux et savoirs de base dans aucune langue.
Un autre chantier ouvert par la Conférence interministérielle sur l’alpha3 est celui de la connaissance de la situation de l’analphabétisme et/ou de l’illettrisme. Au-delà de l’estimation de Lire et Écrire d’1 adulte/10 concerné, quelle est la situation réelle des besoins et quelles sont les caractéristiques principales du public qui permettent un pilotage « en connaissance de cause » ?
La contribution d’Aurélie Leroy porte sur l’enquête Level One déployée en Allemagne. Articulée aux enquêtes internationales, celle-ci donne des connaissances qui changent notre regard sur les personnes ayant un « faible niveau d’alphabétisation » mais aussi sur les publics éloignés de nos espaces de formation.
Du côté des dispositifs de formation, la palette des inspirations est large. Pour les pratiques : la création de ressources numérisées en appui aux apprentissages autonomes par l’administration publique luxembourgeoise, l’alphabétisation familiale au Québec, l’alphabétisation intégrée dans le développement durable au Congo – et notamment dans la dimension économique entrepre-neuriale.
Plusieurs contributions abordent de près ou de loin la profes-sionnalisation des formateur·rice·s, ce « métier » qui existe parce qu’il est pratiqué et reconnu comme tel par de nombreux acteur·rice·s. C’est un enjeu qui est souvent jugée central. En Suisse romande, il est abordé à partir de la certification, des conditions de travail mais aussi de la marchandisation de la formation des adultes. Prendre conscience et distance avec nos propres représentations des dimensions culturelles des publics et réalités de l’analphabétisme dans le monde fait partie intégrante de la formation professionnelle commune aux travailleur·euse·s des associations Lire et Écrire.
La contribution d’Ourida Fahri de Culture et Liberté, invite chacun.e d’entre nous à interroger le sens de nos pratiques – individuelles et associatives – au regard des enjeux de l’éducation populaire, l’émancipation comme des communautés de pratiques, incarnées dans des réalités concrètes et reliées aux enjeux démocratiques contemporains.
Quels que soient les contextes dont les contributions témoignent, l’alphabétisation ne peut se réduire à un apprentissage strictement technique et instrumental. Elle nous apparait, encore et toujours, fermement ancrée dans ses dimensions de dignité humaine « inébranlable », de droit à la formation comme une ressource concrète à l’exercice de tous les autres droits.
- Celui-ci peut être poursuivi au travers de nos webinaires en ligne pour un tour en Irlande, France, Suisse, Québec et Pays-Bas : https://lire-et-ecrire.be/Videos-des-webinaires-L-alpha-au-dela-de-nos-frontieres.
- https://alphabetisation-adultes.be/page-1/lalphabetisation-en-belgique-francophone.
- La Conférence interministérielle (CIM) a pour objectifs d’évaluer les politiques mises en œuvre en Belgique francophone en matière d’alphabétisation. Elle examine également les propositions et analyses du Comité de pilotage dans le but de renforcer les politiques d’alphabétisation en Belgique francophone, d’inverser la tendance à l’augmentation de l’illettrisme fonctionnel et de tendre vers des politiques coordonnées en matière d’alphabétisation. Voir : https://alphabetisation-adultes.be/page-1/conference-interministerielle.