Édito

Sylvie Pinchart directrice
Lire et Écrire Communauté française

“Toutes et tous capables d’apprentissage” est une conviction forte de nombreuses associations d’alphabétisation comme de Lire et Écrire. C’est une phrase à multiples usages et destinataires…. Elle sonne comme un pied de nez à celles et ceux qui pensent qu’enseigner ou former c’est faire le tri entre les « excellents », les « ça va », les « peut mieux faire » et les « il n’y a rien à faire »… C’est un slogan, une phrase d’appel aux personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme : ici, en alphabétisation, vous avez une place pour vous poser, apprendre, progresser…

En tant qu’opérateur de formation, elle témoigne de notre choix pédagogique – celui de l’alphabétisation populaire qui articule processus d’apprentissage des langages fondamentaux et processus d’émancipation individuelle et collective. En tant que travailleur·euse salarié·e ou volontaire, elle énonce une valeur fondamentale partagée. Dans l’action quotidienne, cette phrase nous rappelle notre part du contrat pédagogique : s’engager à tout mettre en œuvre pour permettre effectivement à chaque apprenant·e de maitriser les langages fondamentaux et savoirs de base.

Fixer un cadre général d’action, expliciter ses choix pédagogiques, se doter de ressources méthodologiques et didactiques, proposer un accompagnement psychosocial, se former régulièrement… sont autant de ressources construites progressivement par le secteur associatif de l’alpha en réponse aux difficultés spécifiques rencontrées par les adultes dans les apprentissages de base. En alphabétisation encore plus que dans d’autres pratiques de formation d’adultes, les « difficultés d’apprentissage » sont au cœur du métier. Il s’agit de restaurer un espace où les difficultés (scolaires) d’apprentissage (scolaire) à l’origine de l’illettrisme, deviennent des leviers d’apprentissage.

Mais que se passe-t-il quand « malgré tout, ça coince » ? Quand les apprentissages stagnent ? Ce Journal de l’alpha n’ambitionne pas de répertorier l’ensemble des difficultés et ressources. Il vous propose de partager les réflexions actuelles de plusieurs acteurs sur cette question inhérente à l’alphabétisation. Différents angles d’approche nous invitent à poser le regard en amont ou au-delà de la formation et de l’alpha au sens strict.

Les contextes de vie des apprenant·e·s peuvent peser lourd sur les apprentissages… Même s’ils peuvent être moteurs d’apprentissage, il y a cependant un minimum de sécurité et de confiance d’existence à rencontrer. Entre les temps courts, obsédants de l’urgence sociale et ceux de la formation, les distances sont parfois énormes. De Bruxelles à la province de Luxembourg, plusieurs contributions témoignent du travail important d’accompagnement et de relai psychosocial, en appui et complément des temps collectifs de formation. Ce collectif, si central en alphabétisation, nous en prenons encore plus la mesure de son absence en cette période inédite de confinement…

Une tendance très actuelle, renforcée par les neurosciences1, est celle de l’approche « psycho médicosociale » et la prolifération des « dys » … Laurent Carle développe une critique sévère de la généralisation des dispositifs individuels spécialisés en réponse aux difficultés d’apprentissage, en lieu et place d’une réflexion et action pédagogique collective. Eduardo Carnavale donne des pistes de lecture pour poursuivre la réflexion critique et aiguiser nos capacités à mobiliser des ressources adéquates dans cette surenchère de modèles concurrentiels.

Il y aurait donc à soigner l’individu en mal d’apprentissage… mais aussi et surtout à soigner nos dispositifs d’apprentissage… En prenant connaissance de la contribution d’Aurélie Audemar sur la lecture, nous ne pouvons que nous étonner d’être au final si nombreux à éviter l’illettrisme ! A partir de son terrain d’action en Français langue étrangère, Dina Sensi nous invite aussi à mieux connaitre la langue et les langues, à en développer une compréhension interculturelle.

Plusieurs contributions interrogent les liens entre difficultés d’apprentissage, analphabétisme et handicap. Seuls 5% des apprenants à Lire et Écrire ont un handicap reconnu statutairement, ce qui ne signifie pas que ce handicap serait lié à une (in)capacité ou une limitation cognitive. Pourtant la question du handicap revient régulièrement dans la réflexion sur les difficultés d’apprentissage, soit pour réfuter l’assimilation handicap – analphabétisme, vécu comme une stigmatisation, soit pour éluder la question pédagogique et plus largement celle de la relégation scolaire et des inégalités. En questionnant la place des personnes en situation de handicap en alphabétisation, Anne Catherine Margot ouvre, pour l’alpha, de nouvelles perspectives d’action construites par et avec les acteur·rice·s du handicap. Elle met en évidence une vision partagée par de nombreux acteur·rice·s mais aussi par les contributeur·rice·s à ce Journal de l’alpha : plus une société est inclusive pour les personnes en situation de vulnérabilité (quel qu’en soit l’origine ou la cause), plus elle est moteur de développement pour tous.

Ce numéro est aussi l’occasion de vous faire découvrir la toute nouvelle maquette du Journal de l’alpha réalisée par notre graphiste Polly Butowsky… En vous souhaitant une agréable (re)découverte et une excellente lecture !


  1. Voir à ce propos : Journal de l’alpha n°205, Comment on apprend ? En quoi les recherches sur les apprentissages peuvent nous être utiles, 2ème trimestre 2017 (lire-et-ecrire.be/IMG/pdf/ja205_p75_stercq.pdf).