Parallèlement à leur mission d’accueil et d’orientation des publics vers la formation la plus adaptée à leurs besoins, les agents d’accueil de Lire et Écrire Bruxelles assurent également une mission de relais social. Cette dernière vise à prendre en compte les situations qui compliquent et fragilisent la vie des apprenants des centres alpha de Lire et Écrire Bruxelles, notamment dans leur démarche d’apprentissage. Rencontre avec les agents d’accueil qui viennent en aide et en soutien aux apprenants confrontés à de multiples problématiques…

Le relai social : un espace-temps pour prendre en compte les difficultés des apprenants

Entretien avec Maria Herraz Coordinatrice de la mission Accueil
Fatima Bouhout, Adrienne Lukayazo, Virginie Demeersman
et Guillaume Vanden Borre Agents d’accueil Lire et écrire Bruxelles
Propos recueillis et mis en forme par Aurélie Leroy
Lire et écrire Communauté française

Au travers de leur travail de relais social, les agents d’accueil offrent au sein de chaque centre alpha, un temps d’écoute des difficultés rencontrées, analysent la demande des apprenants en termes de besoins sociaux et assurent le relais auprès des services compétents1. Des permanences hebdomadaires d’une ou de plusieurs demi-journées sont organisées au sein des différents centres alpha. Cinq agents d’accueil et une coordinatrice assument cette mission et travaillent au sein des « Points-accueil », situés dans les communes d’Anderlecht, Ixelles, de Molenbeek, Saint-Gilles et Schaerbeek.

La mission de relais social est une initiative de Lire et Écrire Bruxelles, créée pour venir en appui au processus d’alphabétisation. « C’est important pour Lire et Écrire Bruxelles d’offrir un soutien aux apprenants », exprime la coordinatrice de cette mission. La précarité sociale et économique notamment, à laquelle le public est souvent confrontée, peut impacter le suivi des formations ainsi que les apprentissages. En ce sens, le travail de relais social offre un soutien à la dynamique d’apprentissage. Au point d’accueil d’Anderlecht, un projet de lutte contre le décrochage et les abandons a été, dans cette optique, mis en place il y a deux ans. L’agente d’accueil nous explique : « Après deux semaines d’absences injustifiées, je les contacte pour voir ce qui se passe. Ce n’est pas punitif, bien du contraire. On leur rappelle que s’ils ont un souci, ils peuvent venir nous voir, dans le respect de la vie privée de chacun. Et c’est au travers de ces contacts qu’on se rend compte qu’ils font face à des difficultés, que leur enfant est par exemple hospitalisé. C’est une forme d’accroche qui nous permet de les aider par rapport aux problématiques qu’ils rencontrent. »

Des problématiques multiples

Les demandes des apprenants sont diverses et multiples. « Une journée ne ressemble pas à une autre », déclare une agente d’accueil. Ces demandes reflètent des problématiques auxquelles les personnes en difficulté de lecture et d’écriture font souvent face : problèmes administratifs, difficultés financières, de logement, précarité, maladie… pouvant entraver leur parcours de formation. « On est confrontés à tout ce que la vie amène avec elle », témoigne une des travailleuses.

Un soutien aux démarches administratives

Les agents d’accueil interviennent fréquemment en soutien aux démarches administratives des apprenants en difficulté de lecture, d’écriture et d’expression orale en français. Dans une société où l’écrit est survalorisé, ils les aident à lire et à rédiger des courriers pour introduire une demande de logement social ou d’aide à la scolarité par exemple, à prendre des rendez-vous médicaux, à effectuer des virements bancaires, des plans de paiement, etc. Suite à la numérisation des services d’intérêt général et des services publics, ces demandes se font plus nombreuses et compliquent parfois l’accompagnement dans ces démarches en raison du caractère parfois intrusif qu’il implique (adresse mail, etc.). Bien que le réseau d’écrivains publics constitue une ressource pour les apprenants, les agents d’accueil soulignent qu’il n’est pas toujours aisé et adéquat de les orienter vers ces structures : « Ce n’est pas facile pour eux d’aller parler des leurs problèmes et de demander de l’aide à un inconnu ». Ces actions d’accompagnement et de soutien administratif nécessitent, en effet, un lien de confiance que les agents d’accueil tiennent à développer avec leur public et particulièrement avec les personnes plus isolées, « qui n’ont pas toujours une personne de confiance à qui demander », précise une travailleuse. Ce lien de confiance, construit au fil du temps, fait aussi qu’ils viennent spontanément solliciter une aide auprès d’eux.

Une aide précieuse à leurs difficultés

L’équipe de relais social aide les apprenants dans leurs recherches diverses : logement, crèche, formation professionnelle pour préparer l’après-alpha, test de nationalité, etc.). Lorsque la demande dépasse leur champ d’action, ils s’informent, cherchent un service adéquat vers lequel orienter, en interne comme en externe, adapté à leurs besoins : « Une personne souhaite passer son test de nationalité. Tous les tests de langue à Actiris et à Bruxelles Formation se font sur ordinateur. Cette personne ne maitrise pas cet outil. Je suis en train de chercher une solution. Je vais voir s’il est possible qu’elle s’entraine sur un ordinateur, soit dans les espaces numériques soit via les ateliers TIC à Lire et écrire Bruxelles ».

Il arrive, lorsque cela est possible, que des collaborations soient mises en place pour répondre à certaines problématiques. Une travailleuse nous relate le projet proposé à un apprenant qui rencontrait des problèmes de bégaiements empêchant ses apprentissages : « On lui a proposé de suivre des séances de logopédie parallèlement aux formations en alphabétisation. On a donc collaboré avec le formateur et le service de santé mentale, qui se trouve au deuxième étage. Ça été très positif. J’ai pu ressentir une estime de soi plus développée. Il est maintenant moins introverti, plus sûr de lui».

En outre, les apprenants sont souvent confrontés à des problèmes juridiques et administratifs (papiers en attente, permis de travail limité, accès à la nationalité, etc.) comme en témoigne une travailleuse : « Ce sont tous ces problèmes qui font que certains apprenants n’arrivent pas à suivre les cours, leur formation. Ils doivent s’absenter pour régler ces problèmes urgents ». Pour qu’ils puissent exercer leurs droits, le travail d’information et d’orientation est primordial. Un agent d’accueil nous fait part d’une situation rencontrée : « J’assure le suivi d’une personne qui a été victime d’un accident lors d’une opération à l’hôpital. Elle a été brûlée et elle cherche réparation. C’est une personne qui parle très peu le français. J’ai recherché et trouvé une association qui se charge de l’aider dans sa démarche afin qu’elle puisse introduire une plainte auprès de l’hôpital et bénéficier d’un réel suivi par un avocat ».

Afin de mener à bien leur mission de relais social, les membres de l’équipe collaborent avec les formateurs mais surtout étroitement entre eux : « On est dans une dynamique d’échanges, pas de compétition ». Ils n’hésitent pas à se consulter l’un l’autre pour échanger des informations, des conseils et élargir leur connaissance du réseau partenarial et associatif. A ce titre, un répertoire a été créé en interne afin de partager les informations et renforcer les synergies.

Des capacités d’action limitées

Cependant, certaines situations sont plus problématiques et questionnent les capacités d’action des travailleurs. C’est le cas des personnes sans-papiers présentes au sein des formations. Une agente d’accueil témoigne : « Il y a des personnes sans papiers et sans domicile fixe qui cherchent un logement. C’est extrêmement difficile. Tu téléphones à l’assistante sociale du quartier qui te répond qu’elle ne sait rien faire. Tu téléphones à d’autres associations, des centres de jour qui ne savent rien faire non plus car c’est vraiment la matière la plus compliquée qui soit. Ce sont des personnes sans revenus qui ont parfois aussi un logement d’accueil. Si elle n’en a pas, la première chose qu’on va faire est de lui trouver une place. Si elle doit libérer un logement d’accueil, là, c’est très compliqué ». 

Des apprenants victimes de violence conjugale ou familiale se tournent vers le relais social pour exprimer leurs difficultés et demander une aide : « J’ai aussi des femmes qui se sont fait jetées dehors par leur mari et des apprenants qui se retrouvent sans domicile suite à des conflits de violence au sein de leur foyer. Nous prenons contact avec des associations pour voir comment ça se déroule, pour aider ces apprenants ».

D’autres situations peuvent aussi se présenter. « Une personne est arrivée avec un permis de travail limité. Cette personne est venue pour travailler dans une entreprise de poids lourds avec son permis de conduire marocain. Elle doit obtenir son permis de conduire européen pour être en règle. Cela fait six mois que son permis est chez les autorités administratives et il devra encore attendre quatre mois. On se retrouve avec une personne sans revenus et avec un contrat de travail. Son patron ne la paie pas. On ne sait pas trop où aller, c’est difficile de trouver une solution pour cette personne. Elle me dit qu’elle n’a plus de ressources financières et qu’elle ne sait plus se nourrir trois fois par jour. Je l’ai orientée vers des colis alimentaires ».

Les agents d’accueil cherchent et proposent, dans la mesure du possible, des voies d’action aux problèmes juridiques, administratifs, économiques, sociaux rencontrés par les apprenants. Malgré leur engagement dans cette mission, leur champ d’action reste toutefois limité. Face à la violence, à la grande précarité, aux difficultés administratives insolubles mais aussi à la souffrance psychologique de certains apprenants, les agents d’accueil se sentent quelquefois démunis ou peu outillés pour traiter individuellement la question sociale. Leur travail ne peut se substituer à celui d’un assistant social, d’un psychologue ou d’un avocat ; ils n’en ont pas la légitimité bien qu’oscillant entre plusieurs de ces postures professionnelles. Ils se révèlent souvent être des intermédiaires avec les personnes en charge du suivi des apprenants : éducateurs, assistants sociaux, etc. Etant donné les limites qu’impose leur fonction, ils n’ont donc pas toujours de solution optimale à proposer. De plus, recueillir de tels témoignages n’est pas facile à entendre, ne peut laisser indifférent. Prendre de la distance par rapport à de telles situations2 est parfois compliqué pour certains agents : « Moi, je trouve cela difficile quand une personne arrive avec une problématique et qu’on sait qu’on n’aura pas de solutions. », confie l’un d’entre eux3.

La dimension relationnelle est essentielle

Les agents d’accueil font bien plus qu’orienter l’apprenant vers des services ressources. Ils offrent, tout d’abord, un espace de parole essentiel qui permet l’expression du ressenti, du vécu : « Les apprenants ont besoin de parler de ce qui les empêche d’apprendre. Il y a des besoins d’écoute », exprime l’un d’entre eux. Ensuite, ils informent les personnes, contactent les associations pour sensibiliser et relayer leur situation, prennent des rendez-vous et les accompagnent dans diverses démarches. La frontière entre le relais social et l’accompagnement psychosocial est d’ailleurs parfois floue. Pour tous, leur rôle consiste à orienter et faciliter les démarches, à être des agents relais. Mais pour certains, il est aussi question d’accompagnement dans le sens d’un suivi des difficultés dans la durée.

Ils ne définissent pas leur travail comme celui d’une assistance sociale et s’investissent pour aider au mieux les apprenants, pour les orienter un maximum : « On fait notre possible mais avec les limites qu’imposent notre fonction ». Dans leur travail relationnel avec les apprenants, il n’est pas question d’adopter une attitude paternaliste envers ceux-ci : « On ne va pas les prendre par la main », « On est entre adultes », affirment-ils. Il ne s’agit donc pas de présenter des solutions toutes faites ni de choisir à la place de l’autre. En veillant à leur proposer différentes voies d’action, ils se positionnent plutôt dans une relation égalitaire, dans un rapport entre pairs avec leur public. Par le biais de cette posture, ils les reconnaissent et leur donnent la possibilité d’être acteurs de la voie qu’ils souhaitent suivre pour faire face à leurs difficultés, lorsque le choix est possible.

La dimension relationnelle de leur mission est primordiale à leurs yeux. Certaines compétences psychosociales et qualités humaines sont ainsi fondamentales pour exercer leur mission telles qu’avoir de l’empathie, de la patience, de la bienveillance, être dans le non-jugement, faire preuve d’humilité aussi. L’écoute active, la capacité de reformulation, le sens de la réflexion sont nécessaires afin de s’assurer d’avoir bien compris la demande de la personne, sa situation, les tenants et aboutissants de ses difficultés mais aussi de s’être fait bien comprendre d’elle. La maitrise des langues étrangères4, la faculté de parler dans la langue maternelle de l’apprenant facilitent fortement ce travail relationnel. En outre, la connaissance du secteur, des partenaires, du réseau associatif, de la législation et des problématiques touchant le public alpha sont tout aussi importantes pour guider et orienter activement les apprenants.

Ils mettent en avant leur disponibilité envers le public : « Ma porte est toujours ouverte », déclare l’un d’entre eux. En ces temps de crise sanitaire et de confinement, ces travailleurs ont mis en place un numéro d’appel permettant de maintenir le contact avec les apprenants. Ces derniers envoient notamment, via WhatsApp, des photos de leur courrier ou documents administratifs et posent des questions à leur propos. A distance, ils peuvent ainsi être informés, écoutés, orientés, aidés au besoin. « Tous les apprenants savent qu’ils peuvent avoir un soutien de ma part et cela donne un sens au travail », proclame une agente d’accueil. Comme l’a mis en évidence Magali Joseph5, l’humain et le social sont bel et bien au cœur de la mission de relais social.

En conclusion

Le récit des agents de la mission relais social nous éclaire sur diverses problématiques sociales constituant des freins au processus d’alphabétisation, sur ce qui empêche d’apprendre…

Pour ces travailleurs de première ligne, les principaux obstacles sont souvent liés aux besoins de subsistance et de protection : incapacité de se loger, de se nourrir suffisamment et correctement, d’être en sécurité administrative, physique et mentale… Afin de mieux orienter les personnes confrontées à ces problématiques, un guide d’urgence sociale a été conçu cette année. Il répertorie les différents services d’aide disponibles en Région bruxelloise (logement, colis alimentaires, épiceries sociales, etc.).

Les obstacles rencontrés sont également liés au contexte de vie dans lequel évoluent les personnes en difficulté de lecture et d’écriture : survalorisation de l’écrit, précarisation de la société, accroissement des inégalités, politiques d’immigration, numérisation des services publics… Les politiques d’activation jouent également un rôle et peuvent court-circuiter les projets des apprenants. Comme nous l’expliquent certains agents d’accueil, plusieurs apprenants inscrits au projet Tac-TIC emploi6 risquent d’abandonner leur projet de formation professionnelle suite à une mise à l’emploi proposée par des organismes d’insertion socioprofessionnelle… et s’exposent à des sanctions en cas de refus.

Si certains travailleurs souhaitent que la mission de relais social soit davantage connue auprès des apprenants, elle fait néanmoins déjà partie intégrante du travail d’alphabétisation. Elle s’inscrit dans le travail d’une équipe, en relation avec les formateurs, les partenaires et le tissu associatif. Elle s’inscrit aussi dans le projet d’alphabétisation populaire qui ancre ses actions dans la réalité de terrain, prend en compte l’apprenant dans sa globalité, dans ses besoins et difficultés spécifiques. Elle apporte, d’une part, un soutien au suivi et au maintien en formation. Et elle contribue, d’autre part, à la lutte contre toute forme d’exclusion, à ce que les apprenants connaissent et exercent leurs droits sociaux. Cet aspect est d’autant plus important lorsqu’on sait que le non-recours aux droits est devenu, en une dizaine d’années, un phénomène public majeur7… En s’impliquant dans leur mission et en offrant leur soutien aux apprenants face à certaines difficultés empêchant d’apprendre, l’équipe de relai social de Lire et Écrire Bruxelles participe, sans conteste, à la prise en compte des personnes en difficulté de lecture et d’écriture au sein de la société.


  1. Selon la définition de fonction de l’agent d’accueil à Lire et Écrire Bruxelles. Voir Magali JOSEPH, Le métier d’agent d’accueil à Lire et Écrire Bruxelles, Décembre 2016, p. 10. www.lire-et-ecrire.be/IMG/pdf/recherche_accueil-2016.pdf Voir aussi à ce propos le Journal de l’alpha consacré à l’accueil : Accueillir, orienter et accompagner, tout un métier, Journal de l’alpha n°203, 4ème trimestre 2016. lire-et-ecrire.be/Journal-de-l-alpha-203-Accueillir-orienter-et-accompagner
  2. Magali Joseph a mis en évidence que la posture relationnelle des personnes exerçant le métier d’accueil varie entre engagement et distanciation. Voir : Magali JOSEPH, op.cit.
  3. Didier Fassin parle à ce propos de « souffrance contagieuse », affectant les intervenants sociaux qui accompagnent les publics désaffiliés. De ce fait, explique-t-il, la souffrance devient un enjeu présent au sein des pratiques professionnelles. Voir : Didier FASSIN, Souffrir par le social, gouverner par l’écoute. Une configuration sémantique de l’action publique, in Politix, n°1, 2006, pp.137-157. www.cairn.info/revue-politix-2006-1-page-137.htm
  4. La majorité du public bruxellois est d’origine étrangère. Leur langue maternelle n’est donc pas le français.
  5. Voir : Magali Joseph, op.cit.
  6. Lire et Écrire Bruxelles a lancé, en septembre 2020 le projet TaC-TiC emploi. Ce projet destiné aux adultes en difficulté de lecture et d’écriture combine formation en alpha orientée travail et recherche d’emploi (accompagnement individuel et atelier collectif). Voir : www.lire-et-ecrire.be/Tac-TIC-EMPLOI-Nouveau-projet
  7. En Belgique, de plus en plus de personnes n’ont plus recours aux prestations sociales et financières ou aux services dont elles pourraient bénéficier. Ce phénomène touche davantage les personnes vulnérables et s’observe dans les domaines du logement, de l’emploi, de la santé, de l’éducation… Voir à ce propos : OBSERVATOIRE DE LA SANTE ET DU SOCIAL, Aperçus du non-recours aux droits sociaux et de la sous-protection sociale en région bruxelloise, Service de lutte contre la pauvreté, précarité et l’exclusion sociale, 2018. www.ccc-ggc.brussels/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/rapport_thema_fr_2016.pdf