Les personnes en situation de handicap peuvent être, comme les apprenants de Lire et Écrire, confrontés aux difficultés de maitrise de la lecture et de l’écriture, de la compréhension des concepts, de la complexité des textes existants dans la littérature et sur le net, dans la presse… Mais leur appartenance au groupe d’apprenants est questionnante car elle met en avant la difficulté d’accompagnement personnalisé au vu de situations parfois très hétérogènes. L’inclusion de tous est cependant un droit et même un devoir des États depuis 2006 avec la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées.

Quelle place et quel accompagnement dans les groupes d’alphabétisation pour les personnes en situation de handicap ?

Anne-Catherine Margot Formatrice Ensemble avec toi asbl
et Coordinatrice administrative et financière Lire et Écrire Wallonie

Cet article a pour objectif d’éclairer le cadre législatif et conceptuel autour du handicap et d’inciter les intervenants de terrain à un accompagnement réflexif de tous, quelles que soient les compétences et besoins en présence.  

Cadre général et législatif

La Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF OMS 2001)

La nouvelle classification du fonctionnement, du handicap et de la santé définit les balises sur lesquelles devraient se baser toutes les constructions de projets autour du handicap. Cette classification substitue une vision biopsychosociale à une vision biomédicale et introduit une véritable rupture conceptuelle dans l’accompagnement des personnes présentant des difficultés.

La personne en situation de handicap n’est plus vue par le prisme de ses incapacités mais bien par ses capacités, sa participation à la vie sociétale ; le rôle de l’environnement devient alors prépondérant pour réduire et minimiser au maximum les difficultés de la personne et l’aider à vivre dans une société pleinement inclusive. Ce n’est plus à la personne de s’adapter, de se « normaliser », mais bien à la société dans son ensemble de se transformer pour lever les obstacles de l’accessibilité à l’ensemble des services et biens communs de cette société.

La personne en difficulté de lecture ou d’écriture doit également être, de la même manière, perçue par ses capacités et ses difficultés peuvent également être envisagées au travers de cette classification. Ce cadre nécessite alors que chacun se positionne pour une adaptation de l’environnement afin de le rendre accessible à tous. Dans un contexte d’apprentissages, cette réflexion amène alors le besoin de développement de nouvelles compétences pédagogiques et méthodologiques dans l’accompagnement de la personne, quels que soient ses capacités et besoins.

La Convention ONU relative aux droits des personnes handicapées et devoirs des états

La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées1, que la Belgique a ratifiée en 2009, précise dans son article 24 que les États parties doivent faire en sorte que les personnes handicapées exercent leur droit à l’éducation, grâce à un système éducatif qui pourvoie à l’inclusion de tous les apprenants, notamment de ceux qui présentent un handicap, à tous les niveaux d’enseignement, y compris au niveau tertiaire, dans la formation professionnelle et la formation permanente, sans discrimination et sur la base de l’égalité avec les autres apprenants.

Un plan fédéral handistreaming2 a donc été développé par la Belgique comme voie de solution face à toutes ces difficultés vécues par les personnes en situation de handicap. Le handistreaming (contraction des termes «handicap» et «mainstreaming») est la prise en compte systématique, dans toutes les dimensions politiques régionales3, du handicap de manière préventive et transversale dans l’ensemble des politiques publiques.

Le CAWaB4 (Collectif Accessibilité Wallonie-Bruxelles) a rédigé une brochure à l’attention des administrations bruxelloises et wallonnes proposant des éléments méthodologiques à l’implémentation du handistreaming dans les politiques publiques. 

Accessibilité et inclusion

L’accessibilité peut être définie, selon le CAWaB, comme l’ensemble des mesures appropriées pour assurer aux personnes à mobilité réduite, sur la base de l’égalité avec les autres personnes, l’accès à l’environnement physique, aux transports, à l’information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales.

Dans cette définition et par extension, les personnes à mobilité réduite englobent les personnes en situation de handicap physique, mental, visuel ou auditif.

Les questions d’accessibilité peuvent être de différentes natures : accessibilité physique, accessibilité à l’information et au numérique, accessibilité des contenus, accessibilité financière… et chacune de ces questions nécessite que les opérateurs de services et de formations s’en emparent afin d’en minimiser les impacts auprès du public qui se présente pour en bénéficier.

L’inclusion, terme fortement galvaudé ces dernières années, permet à la personne en situation de handicap de trouver une réelle place de citoyen actif dans la société. Mais comment peut-on définir ce concept afin de le rendre plus concret et utilisable ?

L’intégration et l’inclusion sont deux visions différentes de la participation sociale d’un individu. « Avec l’intégration, c’est à la personne avec un handicap de s’adapter ou se réadapter à la société par l’intermédiaire de structures spécialisées qui visent à rétablir ou compenser ses fonctions défaillantes – qu’elles soient physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles. La société dans son ensemble ne change pas. Si elle espère s’intégrer, la personne doit se normaliser, faire l’effort de s’ajuster au système existant. L’inclusion, quant à elle, cherche prioritairement à transformer la société. Elle vise à lever les obstacles à l’accessibilité pour tous aux structures ordinaires d’enseignement, de santé, d’emploi, de services sociaux, de loisirs, etc. »5.

Source : Inclusion asbl

L’inclusion est donc un effort à mener par tous, en situation de handicap ou non, afin que chacun puisse participer pleinement à la société, selon un principe d’égalité de droit.

Pour Charles Gardou6, anthropologue spécialisé dans les questions relatives au handicap, « une société inclusive ne défend pas seulement le droit de vivre mais celui d’exister » et les éléments suivants sont nécessaires pour permettre à une personne fragilisée par un handicap d’exister :

  • Valoriser ses ressources, ses capacités, d’intensité et d’expression variable. Sous ses limites apparentes, ses compétences enfouies, ses talents, sa créativité. Son génie singulier. Il n’est personne qui n’apporte une contribution, du moins potentielle, à la culture et qui n’interroge le fonctionnement social.
  • Reconnaitre leurs désirs. Le sentiment d’exister ne consiste pas seulement à combler les besoins de bienêtre organique ou ceux nés de la vie en société. Il repose aussi sur l’expression et la prise en compte des désirs : ils ne sont pas un luxe réservé à ceux qui n’auraient pas de besoins « spéciaux ». […] On leur signifie pourtant trop souvent : « Leurs besoins sont satisfaits, n’est-ce pas suffisant ? ».
  • La nécessité « d’entendre » les personnes handicapées, en dépit parfois de l’absence de mots.
  • L’importance « de les libérer de la cage des peurs ancestrales et des ignorances superstitieuses ». La liste des idées reçues, préjugés, stéréotypes concernant les personnes en situation de handicap est encore aujourd’hui malheureusement bien longue.

Accepter de vivre dans une société inclusive, c’est donc apprendre à maitriser ses craintes et accepter de faire un travail sur soi afin de ne plus parler des personnes handicapées, invalides ou des exclus, mais simplement de femmes et d’hommes dont les contraintes et les besoins sont différents des nôtres et le désir d’exister le même.

Et concrètement ?

Avec l’intégration, le poids de l’accès à la formation pour tous se fonde sur les capacités de la personne à accéder aux normes d’une structure faite pour une population sans incapacités.

Avec l’inclusion, chaque personne a sa place, quelles que soient ses caractéristiques. Et pour avoir sa place, on n’exige plus d’elle qu’elle soit comme les autres, mais il y a lieu que la structure s’adapte à ses caractéristiques, par des moyens de compensation et d’accessibilité, pour qu’elle puisse avoir la même vie sociale que les autres.

S’approprier le concept d’inclusion, c’est vouloir changer la formation pour qu’elle soit accueillante. C’est évidemment un travail de long terme.

L’inclusion constitue une révolution et la pédagogie « spécialisée » devient alors la pédagogie la mieux adaptée à une diversité de personnes ayant des profils cognitifs, sociaux, psychologiques, linguistiques différents, et peut bénéficier à tous !

La démarche pédagogique spécifique à l’accompagnement d’une personne présentant des déficiences peut totalement s’apparenter aux attitudes pédagogiques nécessaires à l’accompagnement en général : empathie, connaissance intime de l’activité et de la population ou des caractéristiques propres à chaque individu, prise en compte des variables environnementales et humaines influençant le fonctionnement de la personne, développement de toutes les aptitudes du sujet, orientées vers plus d’autonomie et de compétences transférables dans la vie quotidienne, attention, observation, adaptation des contenus proposés pour corroborer les attentes de tous ainsi que les objectifs visés,…

Les activités proposées se conçoivent en tenant compte des différentes composantes de la personne, permettent l’ouverture la plus large aux activités et une participation la plus active possible de la personne en tant qu’être social. Elles préviennent et luttent contre les effets négatifs de « facteurs contextuels environnementaux » jusqu’alors mal repérés comme les représentations encore très négatives du handicap, l’isolement social, les « incapacités » de la personne, …

Le FALC comme outil d’inclusion

Certains mouvements d’éducation permanente spécialisés dans le secteur du handicap ont ainsi développé des outils spécifiques prenant en compte toute cette perception de la personne : l’asbl Inclusion a, par exemple, développé la méthode « Facile à Lire et à Comprendre » pour s’adapter à toutes les particularités de la personne présentant une déficience intellectuelle.

La méthode « Facile à Lire et à Comprendre », élaborée dans le cadre du projet européen Pathways, a été développée en France par l’UNAPEI7 et l’association Nous aussi8. En Belgique, c’est l’asbl Inclusion qui porte ce projet de rendre l’information accessible à toute personne ayant des difficultés de compréhension. 

La méthode FALC propose des règles pour aider les rédacteurs de documents à rendre l’information facile à lire et à comprendre par les personnes déficientes intellectuelles entre autres et ainsi leur permettre de vivre pleinement leur citoyenneté. Le FALC vise à pouvoir s’informer, prendre des décisions, être plus autonome, développer une société plus inclusive et solidaire. Les informations en « facile à lire et à comprendre » sont écrites en coconstruction avec les personnes concernées.

Les principaux critères sur lesquels s’appuie cette méthode sont la structure des textes, la mise en page et la typographie utilisée, les phrases et mots, le choix du média et du produit imprimé, l’utilisation des images. Un logo caractérise les textes qui sont traduits en FALC, les rendant facilement reconnaissables. Ce logo est d’office accolé au texte « traduit ».

Mais cette information rédigée en « facile à lire et à comprendre » est par ailleurs utile pour les personnes maitrisant mal le français : le FALC s’adresse également aux personnes de niveau de lecture A1 ou A2 dans le Cadre européen commun de référence pour les langues, ce qui correspond à environ 20 % de la population, au public migrant et/ou en situation d’illettrisme.

Les associations de personnes présentant des déficiences intellectuelles développent de plus en plus cet outil, en simplifiant de nombreux textes indispensables à la participation à la vie sociétale de tous : textes légaux, participation à la vie citoyenne, outils pour comprendre le fonctionnement de la société et certaines thématiques en particulier9… Certaines administrations et services publics français10
mettent à disposition leurs supports d’information en version FALC afin de rendre l’information accessible à tous.

Cet outil et ses applications pourraient très certainement trouver écho auprès des publics de Lire et Écrire, permettant d’appréhender les contenus de manière plus appropriée dans une phase d’apprentissage de la lecture.

Conclusion

La notion d’inclusion reste complexe à mettre en œuvre dans une société inégalitaire et normative, qui prône la performance, la compétition et se satisfait de nombre d’exclusions ou de désaffiliations. Elle doit donc être perçue comme un processus de longue haleine susceptible de modifier radicalement les représentations communes et nécessitant des efforts individuels et collectifs de changement de paradigme de référence, incluant les personnes en situation de handicap.

« Pour dépasser les clivages, permettre à une complicité de s’établir et à une histoire en commun de s’écrire, notre société a besoin de mots et de concepts partagés, inclusifs, en cohérence avec le droit de tous au patrimoine social, sans toutefois gommer la diversité et la spécificité des situations »11.


  1. Pour plus d’informations, voir : www.un.org/development/desa/disabilities-fr/la-convention-en-bref-2/texte-integral-de-la-convention-relative-aux-droits-des-personnes-handicapees-13.htm
  2. Voir : equal.brussels/fr/themes/quest-ce-que-le-handistreaming/
  3. La politique d’intégration du handicap est gérée principalement par l’AVIQ en Région wallonne et par la COCOF en Région bruxelloise.
  4. Le Collectif Accessibilité Wallonie-Bruxelles défend l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite notamment. La brochure d’information peut être téléchargée à l’adresse suivante : cawab.be/IMG/pdf/brochure_handistreaming_fr.pdf
  5. Inclusion asbl. Voir : www.inclusion-asbl.be/linclusion-quest-ce-que-cest L’asbl Inclusion vise à développer la qualité de vie et la participation des personnes porteuses d’un handicap intellectuel et de leurs proches à toutes les sphères de la société. Son objectif consiste à rendre les personnes déficientes intellectuelles plus autonomes dans leurs démarches grâce à une meilleure compréhension de l’information. Voir : www.inclusion-asbl.be
  6. Charles GARDOU, La société inclusive, parlons-en ! Eres, 2012.
  7. Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis. Voir : www.unapei.org
  8. Association française de personnes handicapées intellectuelles. Voir : nous-aussi.fr/
  9. Par exemple, l’asbl Inclusion a développé l’outil suivant dans le cadre des élections : www.inclusion-asbl.be/outils/jai-le-droit-de-voter-mais-comment-je-fais
  10. Par exemple, le site du Gouvernement, le ministère de l’Intérieur, de la Santé Publique, la RATP, etc.
  11. Charles GARDOU, op.cit.