Culture et Liberté est une association d’éducation populaire, née dans le nord de la France en 1971. L’association est issue des mouvements ouvriers et syndicaux d’après-guerre1 et se définit comme un mouvement culturel de transformation sociale individuelle et collective. Sa stratégie est de donner aux citoyens une capacité de regard sur leur situation, de conscientiser ce qui les aliène pour s’émanciper afin qu’ils puissent choisir et agir en connaissance de cause. Culture et Liberté lutte contre toutes les formes d’exclusion.
Une des actions importantes portées par Culture et Liberté, structure où je travaille, est la maîtrise de la langue au quotidien pour développer l’esprit critique et la participation en tant que citoyen, habitant, parent. Cette action « du droit à la langue » est née de la volonté d’acteurs et d’actrices militants agissant au plus près des habitants des quartiers populaires. L’émergence de cette demande sociale s’est développée dans des actions socioculturelles et interculturelles.
Le droit à la langue
En tant que fille d’immigrés algériens, j’ai toujours été très sensible à ces questions de transmission de la langue et de dialogue interculturel. Je suis entrée dans la formation d’adultes à Culture et Liberté en 1998 comme bénévole auprès des nouveaux migrants des anciens pays colonisés de l’ex-Union Soviétique. A cette époque, je venais de reprendre des études au CUEEP (Centre Universitaire d’Économie et d’Éducation Permanente) ce qui allait me permettre de valider une licence en Sciences de l’Éducation et de la formation des adultes et mieux ancrer mon engagement auprès des adultes en disqualification sociale c’est-à-dire « vulnérables face à l’avenir et accablés par le poids du regard qu’autrui porte sur lui ».
A partir de 2001, quand je suis devenue salariée, ma fonction a évolué et j’ai pu porter des projets européens dans lesquels Culture et Liberté était engagé. Ces projets m’ont beaucoup apporté. Ils ont développé ma pratique professionnelle en me permettant de rencontrer et d’échanger avec mes homologues belges, anglais, allemands, bulgares, hongrois, italiens, portugais et roumains sur les questions d’accueil des nouveaux migrants (à travers notamment les parcours d’acquisition de la citoyenneté) et aussi sur l’éducation populaire comme méthode d’éducation citoyenne.
A Culture et Liberté, notre volonté avec les partenaires sociaux avec lesquels nous travaillons a toujours été de mener des actions de lutte contre l’illettrisme, des formations d’alphabétisation et/ou de Français Langue Étrangère (F.L.E), et ce malgré la pression des financements publics qui se fait de plus en plus forte. Même si le but est d’accompagner les personnes pour une meilleure insertion sociale, il est clair que les financeurs nous demandent de viser aussi l’insertion professionnelle à travers la maîtrise de la langue.
Ma pratique dans le cadre du dispositif « droit à la langue », mis en place à Culture et Liberté, consiste à préparer les personnes au passage d’un diplôme de langue française du niveau A1 à B2 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), le DELF (Diplôme d’Etudes de Langue Française). Les dispositifs de droit commun n’accompagnent pas suffisamment les personnes vers cette validation du DELF.
Rappelons qu’en France, l’illettrisme se distingue de l’alphabétisation. Les actions d’illettrisme s’adressent aux personnes qui ne maîtrisent pas la lecture, l’écriture, le calcul, le numérique, après avoir été scolarisées en français. Les formations d’alphabétisation concernent celles qui n’ont pas été ou peu scolarisées dans leur pays d’origine.
Nous agissons plus spécifiquement autour des actions qui donnent lieu à la création d’espaces collectifs au plus proche des personnes dans les quartiers populaires. Ces quartiers sont définis comme « prioritaires » par les politiques publiques sur base d’un écart de revenus de la population par rapport à celle du territoire national et ce pour toute ville qui a un le nombre minimal de 10 000 habitants2. Nous pouvons ainsi, à partir des besoins, répondre à des appels à projet politique de la ville. Notre démarche d’éducation populaire est de s’appuyer sur des supports authentiques et/ou des méthodes andragogiques qui visent à apprendre aux personnes à comprendre leur environnement, à y agir et à faire des choix qui leur permettent de s’y adapter tout en maintenant un espace de liberté.
Les actions d’alphabétisation menées dans les quartiers prioritaires ont favorisé l’inscription des mères au foyer qui participent entre autres aux ateliers de parentalité, culturels et/ou artistiques, voire aussi sportifs où le savoir acquis et le développement personnel contribuent à prendre une place. Tout le travail consiste à développer chez les personnes la confiance en soi et l’estime de soi qui ont été plutôt malmenés par un parcours souvent chaotique vers une régularisation sur le territoire et en renonçant à vivre dans leur pays d’origine pour des raisons politiques, sociales et/ou économiques. Bien que les personnes migrantes soient des personnes de plus en plus scolarisées et qui ont, pour la plupart, acquis une expérience professionnelle, il est toujours difficile, en France, de valoriser non seulement les diplômes mais également, leurs activités salariales dans leur pays d’origine comme compétences acquises. Depuis la loi de 2003 promulguée par le comité interministériel du gouvernement de l’époque, les politiques publiques, jusqu’à nos jours, ont mis en place dans le cadre de la loi de l’accueil des nouveaux migrants et des demandeurs d’asile, le contrat d’accueil et d’intégration qui se nomme désormais le CIR : le Contrat d’Intégration Républicain où un niveau de langue est exigé pour assurer sur notre territoire un séjour durable.
Une nouvelle loi sur l’immigration exige des compétences langagières très élevées
Les politiques publiques actuelles menées en France mettent un frein à toutes les formes d’intégration de cette population et ont réhaussé le niveau de maîtrise de la langue exigé depuis la loi sur l’immigration du 26 janvier 2024. En effet, les personnes qui demandent une première carte de séjour pluriannuelle devront avoir une connaissance minimale de la langue française (niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues)3. Ces cartes de séjour, valables plus ou moins 4 ans, étaient auparavant délivrées à la seule condition d’avoir suivi un apprentissage du français dans le cadre du Contrat d’intégration républicain, mais sans obligation de résultat. Aussi, le niveau minimal de français exigé pour l’octroi d’une carte de résident et pour la naturalisation est relevé (niveaux B1 et B2).
Résister aux injonctions
Pratiquer dans un quartier populaire m’a fait comprendre que résister est souvent le seul moyen de travailler dans le respect des personnes. Mobiliser leur capacité d’être acteur ou actrice de leur parcours de vie et de participer à des actions sociales et culturelles dans leur environnement. Ce qui leur permet de comprendre et de reprendre « le pouvoir sur soi ».
Dans ma pratique professionnelle, nous devons répondre à un cahier des charges pour satisfaire aux exigences des financeurs. Cependant, dans nos groupes, nous favorisons le débat contradictoire et argumenté pour faire émerger chez les personnes leur capacité à réfléchir non seulement individuellement mais surtout collectivement sur des sujets d’actualité. Nous proposons surtout aux personnes lors de la préparation de l’examen de français de dépasser leurs propres peurs et angoisses. C’est une étape décisive à franchir dans leur parcours pour plus de confiance en soi.
Dans mes différents groupes, composés principalement de femmes, les personnes suivent un parcours de formation diplômant vers le DELF, réussi à 99% pour celles et ceux qui passent ce diplôme à l’Université de Lille4, malgré la pression et l’attente des personnes face à l’administration pour une régularisation de leurs papiers pour s’inscrire durablement sur le territoire. Nous aidons ces femmes, ces personnes à affirmer leur détermination à partager leurs savoirs, leurs pratiques culturelles et éducatives, et enfin de valoriser celles-ci à partir de leurs différentes expériences de vie qu’elles soient sociales ou professionnelles.
Nous favorisons particulièrement une meilleure compréhension de leur environnement social, économique, culturel et politique pour y agir en toute conscience à travers leurs questionnements des sujets d’examen à l’oral. Notre représentation de la résistance invite les personnes à ne pas accepter de « tout subir » mais à se questionner sur la place que l’on peut prendre pour mieux agir. Prendre du recul, accepter ce qui n’est pas toujours facile à vivre pour s’émanciper. Résister par la lutte contre toutes les formes de discrimination, surtout en prendre conscience pour l’exprimer, et la porter devant qui de droit.
Nous essayons de développer chez les personnes l’autonomie dans les actes de la vie quotidienne, en lien avec les institutions publiques et dans le cadre de la défense de leur droit à accéder à plus de liberté en respectant les principes de la République. Se défendre en tant que parent, habitant d’un quartier difficile, femme et homme d’origine étrangère, sans emploi, ou encore en tant que simple consommateur. Prendre conscience que prendre soin de soi, c’est prendre soin aussi des autres, de sa santé, de ce que je cuisine, de comment je communique, de comment je maintiens les liens dans ma famille, avec mes voisins, mon entourage. Et aussi prendre soin de son environnement. Nous parlons d’écologie sociale, ce qui signifie appréhender les gestes qui conscientisent notre rapport à l’environnement, la nature et notre écosystème qu’est la planète, mais c’est surtout transformer ses vœux pieux en acte du quotidien et sensibiliser les personnes à une économie locale et durable pour une intégration des personnes les plus vulnérables, les femmes, les enfants, les personnes âgées, les jeunes sans qualifications professionnelles, les personnes qui perdent leur emploi, et ceux qui se retrouvent isolés et invisibilisés par la société qui souvent se contente de fonctionner au lieu d’agir pour maintenir les solidarités familiales.
Le festival de la lecture, un projet d’éducation populaire Mener une action qui se revendique de l’éducation populaire, c’est travailler sur une gouvernance moins hiérarchisée, plus collaborative où chacun a et peut trouver une place, participer et être ensemble de manière collective autour d’un projet. Le premier festival de lecture qui s’est déroulé les 31 mai et 1er juin 2024, en est un bel exemple même si, ce sont les coordinatrices et la direction qui conduisent et gèrent financièrement le projet, ce n’est qu’avec la mobilisation des bénévoles et des groupes de formation linguistique qui sont devenus les lecteurs désignés des cinq autrices invitées que le festival a existé et a défini le sens de notre action où lire et faire lire est un plaisir partagé.
- Culture et Liberté s’est constitué à l’initiative du CCO (Centre de Culture Ouvrière) et du MLO (Mouvement de Libération Ouvrière). C’est pourquoi, aujourd’hui, le mouvement se situe au carrefour des actions des mouvements ouvriers, du monde syndical et des mouvements d’éducation populaire.
- Les quartiers prioritaires ont été classés comme tel en se basant sur un critère unique : le revenu. Les revenus sont comparés aux revenus moyens de l’agglomération dans laquelle se situe le quartier, et à ceux de la France. Cette méthode a permis de repérer 1 300 quartiers de plus de 10 000 habitants.
- Voir : https://www.vie-publique.fr.
- Nous avons un partenariat avec le département FLE/DALF/DELF de l’Université de Lille.