Comme tous les mardis matin, Naïma, Malika, Fatima, Samira, Saïda, Aicha, Diariou, Fatoumata et Ramatoulaye se retrouvent dans le local des cours d’alphabétisation2 de l’asbl situé rue de La Poste. Originaires du Maroc et de Guinée, elles se saluent et s’interpellent en riant. L’ambiance est décontractée. Comme d’habitude, Malika arrive son sac débordant de dattes et de crêpes faites maison à partager ensemble à la pause de 10h30. Mais 9h a déjà sonné et c’est la formation qui débute.
Après avoir invité les dernières arrivées à s’installer, Kenza lance la séance avec un débat mouvant. Elle lit tout haut une série d’affirmations relatives au logement : « Je suis en conflit avec mon propriétaire », « Ma facture d’énergie est impayable », « J’ai un certificat PEB A, B, ou C », « J’ai reçu mon préavis ». Les phrases sont en général rapidement comprises par les participantes. Quand certaines hésitent, leurs voisines leur traduisent en arabe les mots les plus compliqués. Certains termes légaux sont réexplicités si nécessaire par l’animatrice qui dispose d’une expertise sur la question puisqu’elle a été engagée à Maison de la Famille pour animer ce type d’ateliers depuis 2022.
Aujourd’hui, Kenza reprend des thématiques déjà abordées et les revisitent à travers cette animation pour favoriser la participation. A chaque phrase, elle demande aux participantes de signifier leur accord ou désaccord en allant d’un côté ou de l’autre de la salle. Cet exercice permet aux différentes participantes de se positionner, mais aussi de susciter des échanges sur les raisons qui les ont poussées à opter pour l’une ou l’autre réponse.
A l’issue de ce premier exercice, on peut dresser une photographie relativement précise du type de logements dont disposent ces femmes et de leur appréciation par rapport à certains critères de confort, de salubrité et de coût. On apprend ainsi, à l’exception de l’une d’entre elles, qu’elles sont toutes locataires, qu’elles paient un loyer s’élevant entre 800 et 1000 euros pour un logement de deux chambres (quelques-unes seulement paient moins : 600 euros) et que si elles disent que, « oui », les loyers qu’elles paient sont chers, elles estiment dans le même temps que pour elles « Ça va »…
Cette réponse peut étonner car leur loyer – comme nous le précise Kenza -, équivaut souvent à la moitié de leurs revenus. Il faut donc nuancer leurs propos. Pour ces femmes qui sont en Belgique depuis plus de 20 ou 30 ans (sauf 3 personnes arrivées plus récemment de Guinée), il faut comprendre le « Ça va » comme « oui, nos conditions de logement ne sont pas optimales, mais elles se sont améliorées peu à peu ». Il faut aussi replacer leur réponse dans le contexte actuel de l’explosion des loyers à Bruxelles, et c’est justement en prenant en compte cet élément qu’elles estiment qu’elles ne sont pas les plus à plaindre. Si on prend le cas de Fatima qui est en Belgique depuis 35 ans et qui vit désormais seule avec son fils, elle mentionne avoir eu dans le passé toute une série de problèmes d’humidité dans son logement. Aujourd’hui, ces problèmes sont plus ou moins résolus, mais elle dit attendre un logement social car ses douleurs au genou rendent la montée ou la descente des escaliers de son appartement de plus en plus difficile. Mais elle sait qu’elle doit être patiente. Son dossier, elle l’a introduit il y a plus de 10 ans déjà, mais en général, la réponse prend plus de temps encore3. Elle parle par contre de la situation plus problématique d’un membre de sa famille qui vit dans un appartement où l’électricité ne fonctionne pas correctement (la machine à laver doit être raccordée à une prise située à l’autre bout de la pièce), ce qui rend dangereuse la situation de leur jeune enfant qui commence à marcher à quatre pattes dans cet espace. Pour eux, il est pourtant difficile de déménager du fait des coûts élevés des loyers.
Déménager, une décision pas toujours facile à concrétiser
Sur l’ensemble du groupe, deux personnes viennent de déménager récemment et elles se disent « contentes » car leur logement est plus grand et qu’elles n’ont pas de problèmes avec le propriétaire. Si on écoute les récits du groupe, on constate que la plupart des personnes vont agir avec prudence, soit, comme Fatima, par le biais d’une demande de logement social, d’une aide du CPAS ou via une affiche à louer qui leur permet de profiter d’un départ d’une personne de leur entourage mais cette dernière option existe de moins en moins. Comme elles l’expliquent lors des échanges, tout passe désormais par les agences ce qui complique leur recherche puisqu’elles ne peuvent pas les faire seules.
Lors des discussions, Kenza leur donne plusieurs conseils comme celui de ne pas cantonner leurs recherches à « leur » commune, qu’elles pensent être plus accessible (comme Saint Josse ou Schaerbeek), mais d’aller voir aussi dans d’autres, car la notion de « quartier » est désormais importante voire déterminante dans les variations de prix. L’une des nouvelles arrivées de Guinée semble aussi avoir une bonne connaissance des différences de prix importantes entre Bruxelles et la Province : « A Wavre, c’est moitié moins cher qu’à Bruxelles pour le même type de logement. J’ai une amie qui y habite. J’aimerais aller y vivre si c’est possible un jour ». Mais s’éloigner de Bruxelles n’est pas un projet partagé par l’ensemble du groupe, même si Kenza confirme ces données puisqu’elle aussi habite en dehors de Bruxelles et paie un loyer nettement moins cher.
Autre fait qui est explicité par Kenza : l’importance de disposer d’un bon PEB. Ce mot « PEB », c’est sans doute celui qu’elles connaissent le moins dans ceux cités par Kenza lors de cette matinée. Aucune d’entre elles n’a jamais entendu parler de ce certificat ni de son importance si elles sont amenées à louer ou même acheter un bien dans un avenir proche. Aucune d’elle ne dit en avoir un. Kenza leur explique alors que ce document est un peu la carte d’identité énergétique d’un immeuble et qu’il est établi par un certificateur agréé. Le score, à Bruxelles, va de A++ à G. Elle leur explique en les comparant aux lettres A, B, C, que l’on trouve aujourd’hui sur les appareils électroménagers. Elle insiste donc sur l’importance d’en réclamer un à son propriétaire lors d’un futur déménagement pour éviter de se trouver dans un logement mal isolé qui risque de coûter cher.
Des contacts pas toujours sereins avec les propriétaires, même si…
Quand Kenza leur pose la question suivante : « Votre propriétaire fait-il les travaux nécessaires pour que votre logement soit en bon état ? », de nouveau, les apprenantes se mettent plutôt du côté du « oui ». Mais certaines disent ensuite « qu’avant », c’était difficile, qu’elles ont dû plusieurs fois réclamer et même intenter des démarches avec l’aide de leur famille, mais que les choses se sont peu à peu améliorées. C’est à ce moment que Kenza introduit la possibilité d’être aidées par des intervenants plus pointus sur ces questions. Elle cite d’abord son collègue Jérôme Tellier, accompagnateur social, qui se trouve… dans le bureau d’à côté et qui peut informer, offrir un soutien, prendre des contacts pour solutionner des situations problématiques. Elle parle aussi des tables de Recherche Active de Logement4 (organisées par l’Union des Locataires Schaerbeekois), qui proposent aux personnes qui sont mal logées de trouver des habitations plus adaptées et financièrement abordables. Ces ressources, aucune d’entre elles ne les ont jusqu’ici sollicitées mais elles semblent être intéressées, particulièrement une des apprenantes guinéennes dont la fille est en recherche de logement.

Des obligations dévolues aux locataires ou aux propriétaires ?
Quand on passe à l’exercice suivant qui consiste à classer des images qui représentent les droits et obligations des propriétaires et des locataires, elles ont par contre une vue très précise de ce qui incombe aux uns et aux autres. Par groupe de deux, elles préparent les réponses qu’elles viendront ensuite coller au tableau sous la silhouette du locataire ou du propriétaire et ces réponses sont généralement justes. Aux locataires, il revient par exemple d’entretenir la chaudière, de purger les radiateurs, de remplacer une vitre cassée (si la cause n’est pas externe, comme dans le cas d’une tempête) ou de prévenir son propriétaire en cas de fuite d’eau. Les propriétaires par contre sont chargés d’isoler la toiture, de gérer les pannes électriques ou d’entretenir les façades.
Une discussion animée s’ensuit sur les modalités pratiques des obligations des uns et des autres. Kenza informe par exemple que l’entretien d’une chaudière, selon qu’elle soit au mazout ou au gaz, ne se fait pas à la même fréquence. Elle précise aussi qu’à partir du 1er juin 2025, les propriétaires ne pourront plus installer de chaudières au mazout. Les participantes connaissent aussi les gestes à privilégier pour garder un logement sain : ventiler, effectuer un nettoyage régulier, dépoussiérer, etc. Un petit quizz terminera le tour d’horizon de cette matière avec le même taux de réponse exactes.

Tout savoir sur le contrat de bail
Vient ensuite la dernière animation de la journée et pas la plus facile : le décorticage d’un contrat de bail. Kenza distribue par groupe de deux un contrat type. Le but de l’exercice est de reconnaître en duo les mots qui constituent les différentes parties d’un contrat et ensuite de dire oralement ce que chaque partie recouvre. Parmi les différents items proposés, on trouve : locataire, bailleur, loyer, durée, garantie, état des lieux, assurances et signatures…Même si ces mots ne sont pas usuels, les réalités qu’ils recouvrent sont assez bien décryptées par les unes et les autres. Elles expliquent par exemple que la garantie locative doit être versée au propriétaire à la signature du bail et qu’elle est désormais de 2 mois et plus de 3. Par contre, on apprend, que trop souvent encore, certains propriétaires demandent qu’elle soit versée en espèces. Kenza leur conseille alors de ne pas oublier de réclamer un reçu et de le conserver tant qu’elles occupent le logement. Kenza leur explique qu’il est préférable de passer par un dépôt bancaire bloqué ou qu’il est désormais possible de le faire sur myminfin. Elle les invite de nouveau à en parler à Jérôme si elles éprouvent des difficultés à introduire cette demande seule. Concernant la durée d’un bail (souvent un bail de 3 ans)5, les participantes se débouillent aussi relativement bien et savent quand elles doivent donner leur préavis si elles désirent changer de logement après 1 an, 2 ans ou 3 ans. Elles sont aussi conscientes de l’importance d’avoir une assurance incendie en tant que locataire et là, Kenza insiste sur l’aspect légal minimum et les plus auxquels elles peuvent aussi souscrire pour protéger le contenu de leur habitation en cas de sinistre. Un dernier conseil donné par Kenza : ne jamais signer le document sans avoir pris connaissance de son entièreté ! Mais ça aussi elles le savaient !
- Projet issu du Programme pluriannuel « Politique de la Ville par le développement des quartiers 2021-2025 » sur le territoire de la commune de Saint-Josse-ten-Noode avec le soutien de la Région de Bruxelles-Capitale. Convention de partenariat entre la commune de Saint-Josse et la Maison de la Famille asbl.
- Agrément Cohésion sociale de la Commission communautaire française en faveur de la Maison de la Famille asbl, projet de type local 2024-2028. Hélas, les budgets dédiés à ce service de guidance budgétaire seront coupés à partir du 1er janvier 2026. Seuls subsisteront les formations d’alphabétisation.
- Plus de 59 000 ménages locataires attendent un logement social en Région de Bruxelles-Capitale. Le temps d’attente varie en fonction du type de logement mais, dans tous les cas, il est de plusieurs années et ne cesse d’augmenter. A titre d’exemple (pour les attributions de 2023) : un studio ou un appartement d’1 chambre (11 à 12 ans), un appartement de 2 chambres (12 à 13 ans), un appartement de 3 chambres (14 à 15 ans), un appartement de 4 chambres (18 à 20 ans). Source https://logementbruxellois.be/candidat-locataire/
- Elles se déroulent dans différents lieux du quartier Brabant, dont le service de guidance budgétaire de la Maison de la Famille, un vendredi sur deux, de 9h30 à 12h30.
- En réalité, le bail classique pour une résidence principale est conclu pour 9 années, mais si le bailleur donne congé au locataire dans les trois premières années du bail il doit indemniser le locataire. Attention il est désormais également possible de conclure un bail pour une durée comprise entre 6 mois et trois ans, mais cela doit-être spécifié.
