Après avoir travaillé plusieurs années en tant que technicienne de surface, Marie-Anne a souhaité changer de voie professionnelle pour devenir formatrice en alphabétisation. Elle nous conte, dans cet article, ce que la formation de base et le volontariat lui ont apporté ainsi que ses débuts dans ce métier. Récit d’une reconversion professionnelle réussie.

Vers un changement de vie…

Sur base d’un entretien avec Marie-Anne Smekens, formatrice, Lire et Écrire Centre Mons Borinage
Propos recueillis par Bénédicte Mengeot, responsable de la formation des formateurs au sein de l’asbl Lire et Écrire Centre Mons Borinage

Marie-Anne travaillait dans une institution pour jeunes en difficulté comme technicienne de surface et lingère. Suite à des soucis de santé, elle s’est retrouvée en mi-temps médical, ce qui ne lui convenait pas. Elle s’est alors mise en recherche d’une activité. Elle avait toujours été attirée par l’enseignement et aimait apporter son aide aux autres. Mais l’enseignement en tant que tel ne lui correspondait pas du tout en termes de méthodes. Pourquoi est-ce que tout le monde doit apprendre selon un programme sans respecter son rythme propre ? Pourquoi devoir suivre un programme sans pouvoir répondre aux aléas de la vie ? C’est alors que sa belle-fille lui a parlé de Lire et Écrire, que ses enfants l’ont encouragée à suivre la formation de formateurs. Sa personnalité correspondait avec la philosophie de Lire et Écrire, c’est-à-dire une philosophie d’émancipation, de compréhension, d’écoute et de changement social. 

Pendant la formation de formateurs

La formation de formateurs débute par 3 journées de formation dédiées à la découverte de l’alphabétisation. L’objectif est de permettre aux futurs bénévoles et/ou travailleurs de :

  • découvrir, enrichir leurs notions sur l’analphabétisme et l’alphabétisation ;
  • comprendre le contexte dans lequel l’alphabétisation s’inscrit : ses publics, ses finalités, ses objectifs, ses causes, etc.
  • mieux connaitre le secteur de l’alphabétisation.

S’ensuit alors la formation de base, qui s’étale sur une vingtaine de journées, ce qui permet d’ :

  • approfondir le contexte dans lequel l’alphabétisation s’ancre : causes, publics, finalités, objectifs, etc.
  • aborder, découvrir et expérimenter les approches pédagogiques en alphabétisation ;
  • analyser les enjeux politiques liés à la formation des adultes.

« Pleine de doutes, je décide de me lancer dans l’aventure et me persuade que la découverte de l’alpha me guidera dans mes choix. En effet, ces quelques jours m’ont permis d’ouvrir les yeux sur le monde de l’alphabétisation et me conforte dans mon désir de participer à l’aventure de la formation de base.

Un nouveau monde s’ouvre alors à moi :

  • Je change de regard sur les personnes en difficulté de lecture et d’écriture.
  • Je prends conscience que certaines personnes n’ont pas pu suffisamment apprendre la lecture et l’écriture à l’école et n’ont par conséquent pas acquis les compétences de base.
  • Je change de regard sur les causes de l’analphabétisme, causes qui ne relèvent pas de l’individu mais d’un problème sociétal où la personne n’a pas trouvé l’adéquation entre sa méthode d’apprentissage et le système scolaire. »

Discrète, pleine de questions, curieuse et créative, Marie-Anne intègre la dynamique de formation de manière participative et assidue.

Au fil de la formation, elle se sent de plus en plus à sa place dans sa posture de formatrice. Bon nombre de questions fusent néanmoins : est-ce que je vais y arriver ? Saurai-je tenir la posture adéquate ? Arriverai-je à être dans l’éducation populaire malgré mon parcours scolaire ? Serai-je assez à l’écoute, patiente, ouverte, compréhensive ? Vais-je pouvoir suivre toute la partie administrative qui accompagne la formation ? Serai-je suffisamment claire dans mes explications ? Ai-je bien compris ce que l’on attend d’une formatrice en alphabétisation ? …

Et après la formation ?

En fin de formation, Marie-Anne envisage un changement de carrière malgré les questions en suspens.

Une discussion nait alors avec la formatrice qui l’encourage à poursuivre ses efforts, son travail, à suivre son instinct. Il reste une certaine mise en confiance à acquérir mais la posture, la créativité, les valeurs, l’empathie font partie intrinsèque de sa personne.

Forte de ses apprentissages théoriques mais n’ayant que quelques heures d’animation à son compteur, Marie-Anne décide de renforcer ses compétences en pratiquant l’alphabétisation populaire via le bénévolat. De la sorte, elle marque son engagement aux valeurs de Lire et Écrire et garde les acquis de la formation, le contact avec les apprenants.

Cette étape rassurante l’incite à postuler en tant que formatrice. D’abord reprise dans la réserve de recrutement, elle prend ensuite un congé sans solde à son ancien boulot et signe un contrat à temps plein à Lire et Écrire. Après, une grosse année de fonction en tant que formatrice, elle donne définitivement son préavis en tant que technicienne de surface pour poursuivre son parcours en alpha.

Ça fait quoi d’être formatrice ?

« Etre formatrice, c’est un renouveau dans mon parcours professionnel, c’est une bouffée d’air pur. Ce sont des moments intenses qui permettent de relativiser certains soucis du quotidien. Il faut répondre à tellement d’attentes de la part des apprenants que c’est enrichissant de pouvoir les accompagner dans leur émancipation. Au fur et à mesure de la pratique, il y a des doutes qui se sont envolés, des questions qui persistent afin de répondre au mieux aux besoins, aux réalités des apprenants. Le temps facilite la capacité à rebondir et à s’adapter aux situations de groupe. Ayant deux groupes distincts (alpha oral et alpha écrit), je peux expérimenter des choses tout à fait différentes et donc travailler tant l’écrit que l’oral. Cela nécessite, certes, plus de préparations. Les progrès diffèrent d’un groupe à l’autre, ce qui me motive.

Les apprenants apportent leur vécu, leurs envies, leurs angoisses, leur souhait de progresser. La dynamique de groupe favorise les apprentissages de tout un chacun. C’est très chouette de continuer à réfléchir après une formation sur le « comment parfaire les séquences d’apprentissage et les modes d’apprentissage en fonction d’un groupe que je connais de mieux en mieux.

Intégrer une équipe renforce mon pouvoir d’agir car je peux poser des questions à tout moment, à toutes les fonctions, évacuer les moments d’angoisse et de stress et trouver du soutien tant émotionnel, informatique, pédagogique qu’administratif. »

En conclusion

« La formation de formateurs m’a permis de me préparer au métier, de me mettre en confiance, de comprendre le vocabulaire propre à l’alphabétisation populaire. Elle a été une prise de recul pour aborder plus facilement un public qui rencontre des difficultés complexes et multiples. Toutefois, ce que j’aimerais changer à la formation de formateurs, c’est d’augmenter le temps de mise en pratique au regard des apprentissages théoriques et de maximiser le temps de s’essayer à la construction de séquences pédagogiques. 

En fin de compte, mon identité professionnelle a changé. Je me suis réorientée pour des valeurs, des convictions, une volonté de partage et d’empathie vis-à-vis des personnes en difficulté de lecture et d’écriture. Je n’imagine plus faire un autre boulot. »