Le Réseau Namurois de Lecture Publique met un point d’honneur à donner accès à la lecture à tous les publics, dont celui des apprenant·e·s en alphabétisation. Deux types d’actions sont proposés : des animations en bibliothèques (plus spécifiquement à la bibliothèque communale de Namur) et la mise à disposition d’un fonds de livres étiquetés « lecture facile »1. Spécialisée depuis plus de dix ans dans les animations à l’attention des adultes et adolescents alpha-FLE, réalisées au sein des bibliothèques publiques de Namur ou lors de rencontres/ateliers en collaboration avec des associations comme Lire et Écrire Namur ou le CPAS, Igbale Bajraktari nous livre son témoignage.

« Au contact des apprenant·e·s, je ne suis plus la même »

Igbale Bajraktari, animatrice alpha-FLE
Propos recueillis et mis en forme par Isabelle Wery, bibliothécaire
Réseau namurois de Lecture publique

J’avais une idée précise de la manière dont je devais mener les animations pour permettre aux apprenant·e·s d’acquérir des connaissances en français parlé, écrit et lu, et pour leur donner accès, au travers de la lecture, à une plus grande autonomie individuelle.

En débutant, j’avais la certitude que je pouvais facilement et rapidement amener les groupes d’apprenant·e·s d’un point A à un point B en utilisant des méthodes d’apprentissage du français classiques et structurées. Mais la réalité s’est avérée tout autre… Il me faut effectivement beaucoup de temps et de patience pour y arriver, surtout face à des adultes qui n’ont pas été scolarisés ou très peu, que ce soit dans leur pays d’origine ou même en Belgique.

Très vite, au contact de ce public, j’ai dû moi-même apprendre à m’adapter et à être patiente, d’autant que les groupes sont souvent mixtes, composés de personnes issues des quatre coins du monde, parlant des langues différentes, souvent fort éloignées du français, également d’âges et de niveaux d’apprentissage divers.

Chacune a son histoire, son vécu, son propre rythme et ses attentes.
Au fil de leurs évolutions personnelles et de leurs demandes, de départs parfois soudains ou d’arrivées-surprises, ils m’ont appris à rebondir, à réajuster une animation ou un projet en cours. Ils m’ont surtout appris à CONSTRUIRE avec eux.

Très vite, au contact de ce public, j’ai dû moi-même apprendre à m’adapter et à être patiente, d’autant que les groupes sont souvent mixtes, composés de personnes issues des quatre coins du monde, parlant des langues différentes, souvent fort éloignées du français, également d’âges et de niveaux d’apprentissage divers. Chacune a son histoire, son vécu, son propre rythme et ses attentes.

Au fil de leurs évolutions personnelles et de leurs demandes, de départs parfois soudains ou d’arrivées-surprises, ils m’ont appris à rebondir, à réajuster une animation ou un projet en cours. Ils m’ont surtout appris à CONSTRUIRE avec eux.

J’ai souvent adapté mon langage, mon débit de paroles en l’accompagnant d’une gestuelle spécifique. J’ai également choisi de m’appuyer sur des supports visuels comme des imagiers ou des abécédaires afin de rendre l’animation plus claire et éloquente.

J’utilise beaucoup d’albums jeunesse, de livres « faciles à lire », en grands caractères, de bandes dessinées ou de titres parmi des collections spécifiques comme La Traversée. Je passe également par les musiques du monde. Souvent, j’intègre des exercices corporels, comme un lancer de balle en faisant répéter les mots et les phrases, afin de faciliter leur intégration.

Le « récit de vie » est un très bon outil qui permet aux apprenant·e·s de revenir à leurs souvenirs d’enfance et de développer leur imaginaire culturel. Lors de ma prise de contact avec un nouveau groupe, je débute en général en abordant mon propre parcours d’exilée (je viens du Kosovo) afin de partager mon expérience et de permettre un échange au sein du groupe. En livrant aux apprenant·e·s mes propres émotions et mon expérience, je leur offre la possibilité d’exprimer les leurs en retour s’ils le souhaitent.

Leurs vécus sont particuliers ; ils sont nombreux à avoir connu la guerre, l’exil, les violences au sein de leur communauté ou les violences administratives une fois arrivés en Belgique. Parler leur permet de sortir de l’anonymat, de partager leurs souffrances et surtout de se rendre compte que beaucoup d’autres personnes dans le groupe ont vécu des choses similaires.

Au cours de ces échanges, je rebondis régulièrement pour attraper au vol un sujet qui les anime comme – entre autres – la famille, l’éducation des enfants, les différences culturelles (le mariage, le couple, le travail, le bonheur, les conflits, etc.). Tout est source d’échanges et n’importe quel sujet, même le plus simple ou le plus banal, peut servir de base à un nouvel apprentissage, de l’acquisition de nouveaux mots de vocabulaire à la rédaction de textes courts pour les plus avancés.

J’apprends beaucoup des apprenants au cours de ces animations. Et je me dois de prendre en compte chacune de leurs spécificités pour les valoriser, tout en les utilisant comme autant de leviers tout au long de l’atelier ou du projet.

Leur donner la parole est très important et riche d’enseigne-ments pour moi. Souvent se dégage de leurs récits une sagesse époustouflante !

Concrètement, je base toujours l’animation de ces ateliers sur des valeurs humaines très importantes à mes yeux, que je ne manque pas d’énoncer au début de chaque séance : l’écoute, l’empathie, le respect, l’accueil, l’ouverture, le non-jugement, le partage. Et cela fait des prouesses ! Sans oublier l’humour évidemment qui est un excellent moyen pour surmonter les difficultés et les résistances dans l’apprentissage.

Je ne suis plus attachée à tout prix à une méthode ou une technique d’apprentissage. Au contraire, je guide et encadre les échanges – bien sûr ! – mais je « navigue » au gré des sujets que les apprenant·e·s proposent naturellement au fur et à mesure de nos rencontres. Nous votons parfois tous ensemble un changement de thème, si je sens que le sujet en cours est épuisé.

En résumé, aux côtés des apprenant·e·s, je ne suis plus du tout la même personne qu’à mes débuts dans cette profession ; j’ai l’impression d’être plus humaine, plus à l’écoute, davantage connectée à l’autre, ouverte à la rencontre et au partage. Et ça, c’est à eux que je le dois !

Les apprenant·e·s m’offrent leur humanité, leur sagesse, leur simplicité, leur façon d’aller à l’essentiel dans la vie, leur sens de la famille, leur dignité, leur humour, leur joie de vivre et leur peine. Je suis époustouflée par leur curiosité et leur courage d’apprendre. Tout le panel de ce qui fait de nous des êtres humains. Je leur partage humblement mes connaissances et mon savoir, ils m’offrent tellement en échange…


  1. Fonds composé, entre autres, de collections spécifiques comme La Traversée des Éditions Weyrich www.collectionlatraversee.be et d’ouvrages pour enfants, adolescents et adultes écrits dans un langage simplifié avec des textes aérés au vocabulaire accessible, sans oublier les recueils de textes d’apprenants publiés par des centres d’alpha.