Christine Sbolgi est coordinatrice en promotion de la santé au sein de la maison médicale Espace Santé à Ottignies. C’est dans le cadre du potager communautaire qui y a été développé en 2018 avec plusieurs patients et usagers que nous prenons le temps de la rencontrer. Un groupe d’apprenants de Lire et Écrire Brabant wallon y trouve aussi sa place à la suite d’un partenariat conclu avec la maison médicale. Ainsi, deux heures par semaine, le jeudi après-midi, une quinzaine de participants, apprenants de Lire et Écrire compris, s’affairent à entretenir le potager. Au cœur de ce verdoyant projet, les cultures d’aromates côtoient celles de petits fruits et de légumes1.

« Dans notre potager communautaire, inscrit ou pas, tout le monde est le bienvenu ! »

Entretien avec Christine Sbolgi,
maison médicale Espace Santé, Ottignies
Propos récoltés et mis en forme par Sébastien Van Neck,
Lire et Écrire Wallonie

Espace Santé, comme de nombreuses autres maisons médicales, est un centre qui regroupe différentes disciplines : médecine généraliste, soins infirmiers, kinésithérapie, diététique et assistance sociale et médicosociale. À côté des services curatifs sont ainsi mis à disposition des services d’accompagnement social, ainsi que de prévention et promotion de la santé. En plus d’une approche transdisciplinaire, un de principaux enjeux de ces structures consiste à faciliter l’accessibilité pour toutes et tous aux soins de santé. Accessibilité géographique mais surtout financière en choisissant – comme beaucoup d’autres structures homologues – un système de paiement au forfait valant pour les consultations avec les médecins généralistes, les infirmières et les kinésithérapeutes2.

Et le potager communautaire dans tout ça, alors ? Christine Sbolgi nous en dit plus.

L’apparition du potager

Christine S. : « Le potager de la maison médicale est un projet de promotion de la santé. Celle-ci intervient sur plusieurs aspects : la prévention, la promotion de modes de vie plus sains – comme le fait de sortir, de bouger, de consommer plus de produits sains – et le maintien social de la personne par le tissage de liens sociaux qui constituent un des déterminants de la santé. »  

Initiative issue de quelques patients désireux d’exploiter le jardin, le potager est fidèle à la philosophie de l’action communautaire en santé, c’est-à-dire, comme l’explique Christine Sbolgi, « le fait que toutes les actions viennent de la communauté, des personnes elles-mêmes », à la différence d’un modèle descendant qui transmettrait ses vues sur la manière adéquate d’entretenir au mieux sa santé. C’est ainsi que le jardin de la maison médicale en est venu à accueillir le potager qui permet par la même occasion, comme nous allons le voir ensuite, « de travailler le lien social, le mouvement pour sortir de chez soi, la mobilité douce – en raison de l’exercice physique que sa gestion demande –, le rapport à l’alimentation et la créativité ». 

Des objectifs de cohésion sociale et de confiance

Christine S. : « L’idéal, à l’origine, aurait été que le potager soit complètement autonome, mais ce n’est pas si évident car la différence avec un potager, où chacun travaille sa propre parcelle et s’investit pour soi, est qu’ici, on a un autre objectif, davantage collectif. C’est-à-dire que le potager est là et qui veut peut venir, autant de fois qu’il veut sans qu’il n’y ait d’obligation à être présent… On ne va pas du tout juger qui travaille plus, qui travaille moins, qui s’investit plus, qui s’investit moins… Au moment de la récolte, toute personne [patient et/ou, de manière plus générale, citoyen prenant part au projet] présente à ce moment peut récolter. S’il y a du surplus, on donne alors à d’autres, qui ont de plus faibles moyens financiers ou à des familles qu’on sait plus précarisées. L’objectif n’est donc pas la production individuelle mais, en plus de travailler la terre, d’être dans le lien social, de découvrir le monde du potager et de sortir de chez soi. »

De la participation à la santé communautaire peut dès lors découler « l’implication du citoyen dans sa propre santé et dans le système de santé en général ». Une implication qui peut par ailleurs résulter du processus que notre interlocutrice évoque concernant l’accompagnement des patients.

Christine S. : « D’ailleurs, une des raisons pour lesquelles on mène tous ces projets, c’est parce qu’ils constituent souvent un point important pour faciliter la prise en charge de la santé du patient. Par exemple, des soignants peuvent m’interpeller en me disant : ’On a un nouveau patient ou cette famille-là ou ce monsieur-là qui est fort isolé, on aimerait avoir plus de suivi parce qu’on craint que ce soit difficile pour lui de venir simplement de lui-même’. 

En parlant avec les patients on voit qu’ils s’intéressent, par exemple, aux questions qui touchent à la nature, on leur propose alors une activité comme le potager et c’est en y venant qu’ils prennent confiance dans la maison médicale et dans la bienveillance de l’équipe. De cette manière, ils viennent plus régulièrement pour autre chose que juste le curatif et ils voient plus fréquemment certains visages de l’association, les reconnaissent, et ont ainsi beaucoup plus confiance pour bénéficier d’un suivi adéquat au niveau santé. »

Plus qu’une perspective alimentaire, une place à la diversité et à la rencontre

De la convivialité aux émulations

Christine S. : « Une des choses qu’on évalue avec ce genre d’activités, quel que soit le projet, c’est de savoir si par après, des rencontres extérieures se font, des liens se créent. Et, effectivement, certains se revoient par la suite et il y a de la création de liens, que ce soit au travers de cette initiative de potager ou dans une autre activité. »

Sébastien V. : Que constates-tu en termes de participation ou d’envie de prendre part au potager ?

Christine S. : « On est assez constants dans son exploitation. Il y a un petit groupe pour le faire progresser et le mettre en état et puis ceux qui veulent y prendre part viennent. Certains plus pour papoter, même s’il faut qu’on avance quand même un peu… mais on a toujours environ 1h30 de travail puis une bonne demi-heure de moment café, échange, papote, etc.

C’est le moment aussi où l’un ou l’autre évoque le fait qu’il a commencé un petit potager chez lui ou qu’il a planté chez lui la même chose que dans le jardin de la maison médicale. Des moments de solidarité y apparaissent également. C’est le cas, par exemple, d’un monsieur qui venait d’emménager et qui n’avait pas grand-chose, de l’entraide qui s’est créée. Les retours sont également positifs. [Venant d’usagers, par exemple :] ’Ah voilà, j’ai 3-4 fraisiers ou framboisiers en trop chez moi, ça peut alimenter le potager !’. Pareil pour l’équipe, c’est ça qui est chouette ! L’autre jour, il y a quelqu’un qui est venu avec 25 cosmos, des fleurs, eh bien hop, au potager ! »

Les savoirs des apprenants en alpha, entre connaissances et reconnaissance

Christine S. : « Lors du montage de la serre, on avait organisé la journée de façon à ce que les apprenants de Lire et Écrire puissent y participer. C’était prévu pour une matinée, puis certains sont finalement restés toute la journée, et on a monté cette serre sur base de leurs savoirs. En seulement une journée ! C’était génial parce que, dans ce groupe de Lire et Écrire, il y a des gens qui savaient souder et qui pouvaient imaginer le déploiement de cette serre.

Il y a par exemple un monsieur qui, dans son pays d’origine, était soudeur et c’est lui qui s’est occupé de toute la soudure pour l’armature de la serre… et c’était impeccable ! Il a ensuite exprimé ses remerciements et le fait de s’être senti utile de participer au projet. Pareil pour d’autres qui déclarent avoir déjà un potager chez eux et qui se mettent directement à travailler la terre, à la retourner. Un autre [apprenant de Lire et Écrire] a élagué un grand arbre qui redescendait très fort sur notre jardin. Il y a cette sensation d’être utiles, de pouvoir partager leurs savoirs, parce qu’ils s’y connaissent vraiment ! En plus de se sentir utile, ce qui est chouette aussi avec le potager, c’est le concept de la graine qu’on sème et de la plante qui en sort. Il faut s’en occuper, il faut la bichonner et, ensuite, il y a enfin une pousse qui apparait. »

Sébastien V. : La dynamique du potager permet donc de laisser davantage de place ou toute leur place à ses usagers ?

Christine S. : « Tout à fait ! Ce sont eux qui gèrent ce potager, qui s’y connaissent et qui conseillent sur comment l’exploiter au mieux. (…) Mon rôle consiste plutôt à tempérer, à faire la logistique et à favoriser le lien social. Et c’est vraiment enrichissant parce que j’apprends aussi ! Depuis, j’ai créé un potager chez moi et je peux poser des questions aux participants par rapport à l’état de mon propre potager : ’Mes tomates sont brunes, qu’est-ce que je dois faire ? Je dois les enlever ? Je dois leur appliquer quelque chose ?’. Les participants nous informent aussi, nous donnent des indications. Par exemple, sur la comestibilité de telle plante ou de tel arbre… On fonctionne comme ça, finalement, en parlant, en échangeant, et c’est comme ça que ça marche. »

Interculturalité, quand tu nous tiens

Christine S. : « Le fait de parler, de partager, de nous entendre et de discuter avec d’autres personnes, c’est positif, évidemment. Pour le groupe de Lire et Écrire, surement, pour être dans la langue française et dans les échanges oraux, mais je le vois surtout aussi pour notre petit groupe de patients pour qui c’est vraiment bénéfique d’être dans de l’interculturel, en plus d’un élan d’aide au potager ! C’est essentiel que nos patients soient confrontés à d’autres cultures, ce qui ne se passe parfois pas du tout en dehors du potager. Ça permet également de déforcer certains propos stigmatisants, mais qui le sont simplement par manque de rencontres et de connaissance de l’autre. »

Une voie pour ne pas laisser la santé en friche

Finalement, en filigranes de notre conversation avec Christine Sbolgi, nous posons la question… qu’est-ce que la santé ? Le travail interdisciplinaire des maisons médicales s’aligne aisément sur la vision de la Charte d’Ottawa3 qui la définit comme « un état de complet bienêtre physique, mental et social »4 de la personne. Ainsi, la promotion de la santé, et dans notre cas plus particulier, le développement d’un projet de potager communautaire, « ne se borne pas seulement à préconiser l’adoption de modes de vie qui favorisent la bonne santé, son ambition est le bienêtre complet de l’individu »5… ce qui peut par ailleurs esquisser de multiples perspectives dans le cadre de projets d’éducation permanente, d’alpha populaire et/ou d’intégration de populations précarisées ou en situation d’isolement.


  1. Par souci de lisibilité et d’engagement dans la lecture, l’article ne tient sciemment pas compte des mois de confinement qui ont mis à mal de nombreuses actions associatives dont ce potager communautaire.  
  2. À la différence du paiement à l’acte, en vigueur dans une partie des maisons médicales, le paiement forfaitaire fonctionne sur le système de l’abonnement : « Dans le cadre d’un contrat signé entre le patient, sa mutuelle et la maison médicale, la mutuelle paye directement à la maison médicale tous les mois et par personne abonée une somme fixe : le forfeit (individuel et non familiale) ». https://www.maisonmedicale.org/Mode-de-financement.html
  3. Charte qui fait par ailleurs partie des principes structurants des maisons médicales : https://www.maisonmedicale.org/La-charte-des-maisons-medicales-leurs-valeurs.html
    Pour plus d’informations, voir : https://www.maisonmedicale.org/Charte-d-Ottawa-
    pour-la-promotion.html
  4. https://educationsante.be/la-charte-dottawa/
  5. Ibid.