Le projet de promotion à la santé par l’alimentation saine et l’activité physique porté par l’asbl La Rue et soutenu par la Cocof1 depuis 2019, vise à rendre accessibles à tout·e·s des outils pour améliorer la santé globale à travers une alimentation mieux choisie, des activités qui font du bien dans des « lieux ressources »2 à Molenbeek. Comment être en bonne santé aujourd’hui à Molenbeek ? C’est quoi la qualité alimentaire, comment et où la trouver ? Ces questions sont travaillées tous les jeudis dans les ateliers du groupe « J’habite… dans mon corps » dont les participant·e·s réfléchissent ensemble – avec l’appui de l’asbl et d’intervenants externes3 – à leur santé et aux problèmes auxquels ils sont confrontés pour cocréer des solutions, construire des actions et décider d’activités sur le terrain.

« J’habite… dans mon corps » : à Molenbeek, comment prendre soin de sa santé ?

Marie Claude Kibamba, formatrice alpha
Et Héba Fakhouri, chargée de mission en promotion
à la santé par l’alimentation saine et l’activité physique
La Rue asbl

Située à Molenbeek, La Rue, association d’éducation permanente, vise un travail de soutien et d’encadrement des personnes pour les amener progressivement vers une prise de conscience des enjeux sociétaux que nous vivons, et les accompagner au quotidien vers une autonomie individuelle et une meilleure appropriation des questions sociales, économiques, politiques et culturelles. La formation de groupes de travail pour gérer certaines questions liées au quartier, au cadre de vie, au logement permettent de travailler sur le collectif : l’individu peut alors peu à peu trouver sa place dans la société et s’y s’exprimer.

Dans ce cadre, le projet, intitulé « J’habite… dans mon corps » invite les personnes désireuses de reprendre leur santé en main à des rencontres hebdomadaires qui favorisent les échanges autour de la santé par l’alimentation saine et l’activité physique. Un groupe hebdomadaire, composé de femmes habitant le quartier, se forme et sera progressivement amené à s’ouvrir à d’autres projets/groupes dans le quartier.

Par une approche systémique, des liens sont établis entre l’accessibilité à une alimentation de qualité et le mode de vie des personnes, entre la sédentarité et le mode de vie actuel. On s’informe et on découvre des pistes pour renforcer sa santé physique et mentale.

Plus ponctuellement, en partenariat avec le secteur de l’alphabétisation, le projet global Promosanté intervient auprès des groupes sur demande des formatrices. Celles-ci poursuivent également ce travail au sein de leurs groupes. Dans un cadre d’éducation permanente, elles travaillent régulièrement avec les apprenants autour de questions sociétales (logement, droits, devoirs, citoyenneté, parentalité, etc.) et peuvent témoigner du besoin de leur public quant à la prise en main de leur santé, ce constat étant le même au sein d’autres projets de l’asbl, tels que les projets de Cohésion sociale, ou de développement local intégré. Ces dynamiques ont notamment donné lieu à des ateliers de cuisine ainsi qu’à des activités sportives (vélo, marche, etc.) proposées aux groupes de parents et d’enfants qui habitent le quartier, par ailleurs informés de l’existence du groupe du jeudi et régulièrement invités
à s’y insérer.

À travers les témoignages partagés lors des évaluations en groupe, nous pouvons voir en quoi le travail mené de concert avec les divers secteurs de La Rue contribue efficacement à un réel changement au niveau de l’individu et de la dynamique du quartier.

« J’habite… dans mon corps », alimentation et bienêtre

À travers le projet, des rencontres-débats, des ateliers vélo et alimentation, des projections vidéo, etc. sont organisés chaque semaine. Plus ponctuellement (une fois par mois), Promosanté va à la rencontre des groupes d’alphabétisation et de l’école des devoirs de La Rue.

Pour ces activités, La Rue est amenée à rencontrer et faire intervenir des acteurs variés : herboristes indépendants, nutritionnistes (La passerelle, la maison médicale Norman Béthune), un coach (de la salle de sport Mohammed Ali), spécialistes de la cuisine sauvage ou de thérapies alternatives (Cuisine Sauvage asbl, sylvothérapie avec Wood Wide Web), association de promotion de l’usage du vélo (asbl Pro Velo), etc.

Certains d’entre eux nous auront accompagnés tout au long du projet comme par exemple Priscille Cazin (Wood Wide Web) en tant que sylvothérapeute et habitante de Molenbeek. Elle nous aura fait découvrir comment sortir de sa zone de confort pour renforcer son système immunitaire, trouver le calme intérieur et se relier aux saisons et à la nature présente en ville mais aussi en nous.

Les partenaires, associations locales, habitants, tout comme les participant·e·s sont autant de ressources pour le quartier. Certains lieux comme le Jardin Urbain et les restaurants sociaux (Les uns et les autres, le Snijboontje, Le Bel Mundo) peuvent aider à manger mieux. Certains magasins proposent des alternatives au modèle industriel, à la « malbouffe ». Mais l’offre reste limitée dans le quartier. Où trouver les produits de saison, non traités, locaux, en vrac, etc. sont autant d’autres questions que nous explorons à travers le projet.

Ces questions s’inscrivent aussi dans un travail sur la transition déjà intégré aux activités liées à l’éducation environnementale portées par le Jardin Urbain depuis plus de quinze ans. Elles sont abordées au sein de divers groupes, notamment à travers des visites aux ateliers Mondiapolis d’Oxfam en 2019 qui ont été l’occasion de prendre du recul pour avoir une vision plus globale des problématiques socioenvironnementales. Ces visites sont retravaillées par les formatrices en alphabétisation pour permettre l’appropriation des nouvelles notions présentées. Amener ce type de questions auprès de publics fragilisés demande beaucoup de pédagogie et de patience, de douceur et de temps…

L’année 2020, marquée par la pandémie, a demandé des ajustements pour maintenir une certaine cohésion dans le groupe « J’habite… dans mon corps ». Le lien avec les bénéficiaires a pu être poursuivi grâce aux outils de type WhatsApp ou Zoom, et a permis des échanges plus intimes, les personnes nous apparaissant sur vidéo à partir de leurs logements respectifs. Les échanges sur le bienêtre et le « mieux manger » ont été poursuivis avec, chacun partageant des tutoriels vidéos au reste du groupe sur tel ou tel plat réalisé, ou sur comment respirer et calmer son stress… Dès que les activités en présentiel ont repris, il a encore fallu faire preuve de créativité. C’est ainsi que l’atelier de cuisine « À deux, masqués, filmés et confinés » a été mis sur place, permettant au groupe de continuer à être en lien.

Lors de cet atelier, les participantes du groupe décident à tour de rôle du plat à réaliser. C’est ainsi que le groupe a l’occasion de partager des plats traditionnels, souvent hérités de mère en fille, avec comme fil conducteur décidé par les membres du groupe : le recours à des aliments de saison et locaux. Avec l’aide de l’animatrice, une ou deux participantes cuisinent pour le groupe. La recette est filmée et publiée en ligne afin de la partager avec tous·te·s4. A tour de rôle, les membres du groupe « J’habite… dans mon corps » viennent récupérer leur portion dans le respect des mesures sanitaires. Ces ateliers, nés en 2020 durant la situation de pandémie de Covid-19, ont été une opportunité de se réinventer et de maintenir le lien.

Ce groupe est aujourd’hui destiné à s’ouvrir et l’idée d’une cuisine solidaire est en cours de coconstruction. Elle proposera dans un premier temps des crêpes ou desserts réalisés chez soi et mis en vente auprès de l’équipe ou des habitants du quartier (sur réservation) à prix démocratique. Les revenus qui en découleront alimenteront une cagnotte qui permettra au groupe de réaliser des sorties et des activités en lien avec le cœur du projet. Une charte doit encore être réalisée, elle sera évolutive et soumise à une réflexion continue, réadaptée en fonction de la réalité du terrain, du nombre de personnes et de leur engagement dans le processus. Abordant l’interpersonnel au sein du groupe, elle déterminera en tous cas quelques principes de base du travail collectif (arriver à l’heure, prévenir en cas d’absence…). Parallèlement à cela et en partenariat avec les formatrices en alphabétisation, les apprenants alpha seront amenés à participer dans le cadre de leurs cours à des activités « manger-bouger ».

La santé abordée aussi à travers les groupes d’alphabétisation

Dans le cadre de l’alphabétisation, nous travaillons avec un public mixte et multiculturel. Notamment préoccupées par de nombreuses démarches administratives à faire et par le problème de la barrière linguistique, les personnes arrivent d’abord à La Rue avec une demande bien précise : apprendre à lire et à écrire. 

Mais au-delà de leur volonté et de leur motivation à vouloir s’en sortir dans les démarches de la vie quotidienne, on se rend très vite compte qu’elles ont d’autres préoccupations plus essentielles que l’apprentissage de la langue. Ces souffrances sont souvent liées à des problématiques de santé et de logement. C’est ainsi que, comme formatrices, nous essayons d’aller à la rencontre de ces demandes et de proposer des activités qui abordent toutes les thématiques, en lien notamment avec l’insalubrité des logements et la santé. Des animations évoquent par exemple directement les risques liés aux logements selon les périodes de l’année, et leur impact sur la santé des familles.

En janvier par exemple, les personnes sont souvent confrontées au problème d’humidité. Nous abordons les sujets qui touchent à cette problématique et invitons les collègues du « module info »5 dans le but d’animer un jeu sur le sujet.

L’activité sportive comme espace de socialisation et de remise en forme

Chaque année, suivant les moyens et les projets définis en équipe, nous répondons aux demandes au fur et à mesure. En 2019, nous avons eu la possibilité d’aborder la question liée à la santé et au bienêtre dans le cadre du projet Promosanté avec les apprenants et, suite aux motivations exprimées, nous leur avons proposé une activité. Le sport les a séduits car les disciplines proposées étaient encadrées par un coach sportif et l’objectif était l’amélioration de la condition physique, psychique et le développement des relations sociales. Ce projet s’inscrit donc dans une activité éducative qui tient compte à la fois de l’individu lui-même et du collectif. Il offre aux apprenant·e·s un espace socialisant et une passerelle vers l’autonomie.

L’activité sportive avait lieu le mercredi matin, moment propice pour les dames. Elles se sont organisées pour faire du shopping dans les magasins de sport afin de trouver une tenue appropriée. C’était devenu un rendez-vous à ne pas manquer. Quel plaisir de les voir libres d’exprimer leur désir de mettre leur corps en valeur par une activité physique, et de se maintenir en forme. Les premières minutes du jeudi, jour après la matinée sportive du mercredi, étaient consacrées à des commentaires sur les exercices qu’elles avaient réalisés la veille. Elles en parlaient avec fierté dans une ambiance amicale. Les hommes quant à eux poursuivaient leur séance de foot par une tasse de thé sur une terrasse avant de rentrer à la maison. On pouvait les entendre parler du foot comme de jeunes ados se moquant gentiment des mauvais perdants dans un climat de respect mutuel.

Les témoignages concordaient sur le constat que la pratique du sport a permis de réduire le stress. Les femmes du groupe réalisaient que c’est un moyen de prévenir les risques des maladies liées à la prise du poids. Ce projet a favorisé l’épanouissement des participant·e·s et a valorisé leur estime de soi.

Ces activités ont comme d’autres été suspendues en 2020 et les apprenant·e·s sont resté·e·s chez eux et elles pendant de longues semaines. En mars 2021, Bruxelles s’est déconfinée et les activités en plein air ont de nouveau été autorisées.

C’est alors que la formation vélo pour débutants a pu être proposée, en collaboration avec l’asbl Pro Velo : une formation de 6 séances de 3 heures chacune a ainsi été mise sur pied. Elle s’est déroulée entre avril et juin 2021 et a connu un grand succès. Les apprenant·e·s pouvaient à nouveau sortir et se retrouver pour une activité sportive pour leur plus grand bonheur. Les animateurs de Pro Velo proposent des séances d’apprentissage selon le niveau de chaque membre du groupe. Sur l’esplanade de la gare de Luxembourg, la première journée leur a permis de tester les niveaux – presqu’aucune dame du groupe n’avait jamais roulé à vélo – et de former les groupes. A la première séance, après seulement une heure, trois débutantes se sont distinguées en passant au niveau supérieur ! Leur motivation a gagné les autres qui tâtonnaient encore. Cette solidarité a poussé les participantes à se concentrer et à se surpasser. Il a fallu deux mercredis pour que l’ensemble des participantes débutantes parviennent à faire le tour de l’esplanade sans trop d’assistance des animateurs. Alors que certaines ne s’imaginaient jamais monter sur un vélo, elles ont réussi à faire de grands tours dans les rues de Bruxelles.

Le besoin de prise en compte des problématiques à un niveau plus global, pour avancer…

Les témoignages des apprenant·e·s nous font comprendre à nous, travailleurs qui les côtoyons, leur besoin de s’insérer dans la vie sociale en s’adaptant à leur pays d’accueil, ses règles et son développement. La ville change rapidement, l’espace public se partage parfois difficilement, certains quartiers sont plus isolés du reste de la capitale. Elles et eux ont aussi envie de « manger et bouger sainement ». Les vélos et trottinettes partagés qui se développent partout, combinés à une circulation automobile qui est plus difficile qu’avant, sont autant d’appels pour nos publics à comprendre que la ville peut se vivre autrement. Tout en prenant soin de soi, on peut aussi prendre soin de l’air commun respiré par chacun·e et peu à peu trouver la voie pour une ville plus apaisée. Chacun·e d’entre nous peut influer sur ces changements en s’engageant à s’exprimer dans l’espace public, à condition que les autorités locales se montrent à l’écoute des besoins et souhaits des habitants de nos quartiers. C’est essentiel si nous voulons une ville plus durable. Ceci fait encore trop souvent défaut.

Si l’éducation permanente se définit comme la prise de conscience des personnes de leur place dans le monde pour une meilleure appropriation de leurs droits, devoirs et de leur pouvoir d’agir, il est clair que le travail mené de concert dans l’association permet aujourd’hui d’envoyer un message plus cohérent aux bénéficiaires : « agir local peut changer le global ». Des ateliers de cuisine, ou de réflexion, aux sorties vélo et découvertes sportives, la promotion de la santé dans un cadre d’éducation permanente demande du temps pour comprendre les besoins des personnes et coconstruire avec elles, quand c’est possible, des solutions à leur portée.

Si notre travail peut aider à vivre dans une commune plus apaisée, si la rencontre de l’autre contribue directement à un sentiment de sécurité dans le quartier, notre travail reste par contre extrêmement difficile et les réponses limitées face à des questions de mal-logement et de malbouffe qui font malheureusement encore aujourd’hui, dans la capitale européenne au vingt-et-unième siècle, trop de victimes. En effet, la problématique du logement prend encore une place centrale dans la qualité de vie, de par le stress que cela engendre chez les familles. Que ce soient le manque de place, l’insalubrité, ou le manque d’intimité et de temps pour soi, c’est un défi au quotidien.

Le travail de terrain doit être soutenu par des politiques où la justice sociale ne peut plus être conçue sans se centrer d’abord sur la sécurisation des besoins de base des personnes tels l’accès à un logement digne, la souveraineté alimentaire, l’accès aux soins de qualité, l’accès à un air, une eau et des aliments de qualité.

Nos communs sont aujourd’hui grandement sacrifiés, mais comment travailler ces communs quand la société ne remplit pas ses devoirs de sécurité et de santé auprès de ses citoyens ?


Informations et contact : info@larueasbl.be 02 410 33 03
Pour rejoindre le groupe « J’habite… dans mon corps » et le projet de cuisine solidaire, contacter Héba : hfakhouri@larueasbl.be

  1. Commission communautaire française.
  2. Espaces publics, parcs, jardins collectifs et autres structures.
  3. Nutritionniste de la maison médicale Norman Béthune, coach sportif de la salle de sport Mohamed Ali, sylvothérapeute à Wood Wide Web, animateurs de l’asbl Cuisine sauvage, etc.
  4. Voir vidéo de l’activité : https://www.youtube.com/watch?v=kIhuZUtKdUI&list=PLt-5iVw4EOY7ZONHJMheoz9fasg3K_Qg6
  5. Groupe né en 2003 à l’asbl La Rue qui, par la conception d’outils de vulgarisation et d’information, effectue un travail d’éducation au logement (information et sensibilisation).