Une assistante sociale accompagne régulièrement les apprenants dans les problématiques liées au logement mais nous avons décidé de ne pas faire de recherche de logement directement mais bien d’outiller les apprenants pour qu’ils la fassent eux-mêmes.
Quelques données statistiques pour mieux comprendre la problématique : Verviers, ville de l’est de la Belgique, comptait au 1er janvier 2024, 56013 habitants1. Un quart du bâti de Verviers a plus de 50 ans et la moitié a plus de 100 ans. Les maisons les plus vétustes se trouvent le long de la Vesdre et sont occupées par les personnes les plus précarisées. Ce sont aussi ces maisons qui ont été inondées en juillet 2021. 7,4% des logements sont des logements sociaux. Il en manquerait près de 1000 pour atteindre le taux de 10% requis par la Région wallonne. À Verviers, près de 50% des habitations sont en location : cela représente plus ou moins 12000 logements2.
Le montant des loyers varie entre 600 euros pour un studio, 850 euros pour un appartement avec deux chambres et plus de 1000 euros pour une maison familiale. 40,7% de la population adulte n’a pas le diplôme du CESS (de l’enseignement supérieur).
Quelles sont les difficultés rencontrées ?
La discrimination
S. nous dit chercher un logement mais dès qu’il téléphone, on lui répond que le logement a déjà été loué. Il nous demande de le faire à sa place car il « sait » que si c’est un Belge qui téléphone, la réponse sera différente. Il est d’origine nigériane, parle français avec un accent prononcé.
Et de même, lorsqu’un agent d’accueil tente de prendre un rendez-vous pour un apprenant d’origine étrangère, le simple fait de dire le nom de la personne ou l’origine de ses revenus (le CPAS par exemple) referme de manière inéluctable la plupart des conversations.
Une des premières difficultés rencontrée mais souvent niée est bien de l’ordre de la discrimination. Discrimination sur base du revenu, de l’origine et notamment sur la maitrise de la langue, de la composition de la famille…
L’idéal serait bien entendu de travailler l’oralité avec l’apprenant pour téléphoner et prendre rendez-vous mais ceux-ci savent pertinem-ment que s’ils téléphonent, on ne leur répondra peut-être même pas tandis qu’une personne belge ouvrira au moins la porte à une visite.
Il existe bien sûr des lois, qui permettent de dénoncer cette discrimination mais elles sont tellement complexes à mettre en œuvre qu’aucun apprenant ne se sent à même de mener ce combat seul et le faire avec le soutien d’une association est difficile.
Le coût
H. vient de recevoir l’accord du regroupement familial. Pour organiser
au mieux la venue de sa famille, sa femme et ses trois enfants, il cherche un appartement plus grand. Il loue cet appartement mais le montant du CPAS pour un isolé couvre à peine le montant du loyer. La procédure prend plus de temps qu’initialement prévu et il se retrouve en grande difficulté, il n’a plus de quoi manger.
Sur le territoire de Verviers, louer un appartement une chambre coûte en moyenne 600€ hors charge par mois. Comme la demande est assez grande, les prix augmentent alors qu’un certain nombre de lieux sont inhabités. Dès que l’on a besoin de deux ou trois chambres, les prix flirtent avec les 1000€, ce qui représente une certaine somme pour les familles qui dépendent d’allocations sociales diverses.
Une petite technique utilisée par les propriétaires pour sélectionner les futurs locataires est de prouver que l’on a un revenu 3 fois supérieur au montant du loyer. Ainsi, un appartement de 600€ ne sera accessible qu’à une certaine catégorie de personne et sûrement pas à un bénéficiaire d’allocations sociales. Si cette pratique n’est pas illégale, elle est du moins très contestable en termes de discrimination. Cette technique est, au départ, une règle qui était appliquée par les banques lors de l’achat d’un logement et celle-ci est passée dans l’imaginaire collectif sans même qu’on ait vu son caractère problématique au niveau de la location.
Un logement adapté à de grandes familles
Y. reçoit l’accord du regroupement familial tant attendu. Il s’agit de sa femme et ses 14 enfants. Or, très peu de logement sont adaptés pour de très grandes familles. Y. se voit contraint de louer 2 maisons pour pouvoir accueillir toute sa famille.
À Verviers, nous travaillons avec des personnes issues de 37 pays. Plusieurs de nos apprenants ont une famille de 8, 9 ou même 10 enfants, mais trouver un logement pour les grandes familles s’apparente à une gageure : les maisons ayant 4, 5, 6 chambres à coucher sont rares. Soit, il faut se délocaliser en dehors de la ville (sans facilités : magasins, transports…), soit il faut louer 2 ou 3 appartements/maisons contiguës ce qui augmente considérablement le prix de la location.
Il n’existe pas de logements sociaux adaptés à ce type de configuration familiale.
L’insalubrité
Madame M. nous dit que son logement est en piteux état, la peinture se décolle, l’humidité est présente partout, elle cherche à déménager. Ce n’est pas facile de trouver un logement avec une pension de handicap.
Elle visite une série d’appartements et en trouve un en très bon état. Ravie, elle signe très rapidement un bail. Quelle n’est pas sa désillusion quand trois mois après la conclusion de son bail, le plafond perce, l’eau coule sur les murs. Mis sous pression par la fille de Madame, le propriétaire la laissera partir sans discussion.
Mais combien n’ont pas cette chance.
F. habite avec 5 enfants dans un logement qui a été déclaré insalubre. Les travaux n’ayant pas été effectués, celle-ci reçoit un avis d’expulsion pour inhabitabilité. Elle se met en recherche d’un appartement mais la plupart des portes se referment ; elle a 5 enfants, elle est d’origine africaine, elle vit seule, elle dépend du CPAS. Elle nous a sollicité à de nombreuses reprises pour l’aider et a finalement trouvé un logement mais qui est loin de ses attentes car il l’isole et l’éloigne de toutes les commodités. Elle s’est décidée à passer le permis pour retrouver de l’autonomie mais cela n’est pas facile quand on est seule et que l’on a de grosses difficultés avec l’écrit.
Quelques-uns se retrouvent dans un appartement insalubre. Que faire ? La loi autorise le locataire à dénoncer l‘insalubrité et suite à une visite de services compétents. Le propriétaire peut recevoir une injonction à faire des travaux de remédiation dans un temps déterminé. Mais si à l’issue de ce temps, si les travaux n’ont pas été effectués, les occupants de l’immeuble se voient stipuler un avis d’inhabitabilité et doivent quitter le logement endéans un temps déterminé.
La plupart du temps, compte tenu de la difficulté de trouver un nouveau logement, les locataires se taisent et ne recourent pas à ce droit qui, in fine, risque de les pénaliser puisqu’ils seront mis à la porte de leur logement.
Quand on trouve un logement, comment s’assurer que le logement est correct ?
Les lois sont là pour protéger le propriétaire et le locataire mais sont-elles appliquées et comment le sont-elles ?
Les relations avec son propriétaire
S. a reçu le renom (fin de bail) de son propriétaire et doit quitter son logement endéans les trois mois : ce dernier affirme que le logement a déjà été reloué et qu’il doit être disponible à la fin du bail, ce qui oblige S. à quitter le logement à la date prévue. Femme seule avec 4 enfants, elle nous raconte arpenter les rues de la ville tous les soirs et noter toutes les affiches de location. Tous ses appels se soldent par des échecs. À l’issue des trois mois, elle n’a pas trouvé de logement et le DUS (Dispositif d’Urgence Sociale) finira par la loger à l’hôtel durant près d’un mois avant qu’une solution ne soit trouvée.
Ce qui est interpellant dans ce cas, c’est que S. a dénoncé auprès de son propriétaire des problèmes récurrents de chauffage (pas de chauffage, pas d’eau chaude en hiver) et qu’elle s’est faite aider par le service psycho-social de l’institution Lire et Écrire pour renouer le dialogue avec le propriétaire afin de trouver une solution. Les services de l’énergie de la commune sont intervenus pour identifier la cause du problème et tenter d’y remédier : le chauffage a finalement redémarré.
Dans cette situation, S. nous a sollicités à de nombreuses reprises : elle nous a raconté ses démarches, nous a fait part de sa peur et nous l’a aussi communiquée. Comment pouvons-nous agir davantage ? Car si nous commençons à chercher du logement, ce qui n’est pas dans nos missions, nous savons que, demain, dix personnes vont se présenter avec la même demande. Actuellement, à Verviers, de moins en moins d’associations s’occupent de chercher du logement tant la situation est complexe et la demande énorme.
Certains propriétaires sont aussi peu scrupuleux. Dans le cas présent, les travaux nécessaires concernant le chauffage n’ont pas été effectués et pourtant l’appartement a tout de suite été reloué flouant ainsi certainement une autre famille…
L’accessibilité aux logements sociaux
Et pour terminer, bien que la ville compte de nombreux logements sociaux, la liste d’attente est énorme et s’y inscrire demande des compétences de lecture, d’écriture et un usage de l’informatique. Chaque année, les personnes inscrites reçoivent un courrier les invitant à renouveler leur demande. Les agents psycho-sociaux sont extrêmement sollicités pour garder le dossier en ordre de façon à ne pas perdre sa place dans la liste d’attente. Cette attente peut se compter en années…
Et malheureusement, les logements sociaux ne sont pas les meilleurs bailleurs quand on rencontre un problème. En effet, ils sont soumis à un certain nombre de règles pour effectuer les travaux ce qui ralentit considérablement leur action.
Un de nos apprenants a même fait appel à sa propre assurance (il y avait une inondation dans la cave de l’immeuble qu’il occupait) faute d’avoir un retour aux multiples appels qu’il avait fait auprès du service des logements sociaux.
Ces différents éléments mettent à jour les difficultés de trouver un logement et d’y demeurer sereinement.
Et ceci n’est que la partie immergée de l’iceberg…
On peut relever beaucoup d’autres problèmes
Au niveau des baux qui ne respectent pas la législation : problèmes au niveau de la durée, des montants qui sont barrés et réécrits à la main, du non enregistrement du bail…
- Au niveau des assurances : la plupart du temps, les baux demandent qu’une assurance location soit souscrite par le locataire. Les non-lecteurs ne lisent en général pas le bail qu’on leur fait signer et beaucoup ignorent les clauses du contrat de bail3. Peu souscrivent une assurance habitation, ils ne savent pas ce qu’est une obligation.
- Une autre difficulté concerne le nom des assurances. L’assurance habitation était autrefois appelée « assurance incendie ». Lors des inondations de Verviers en 2021, certains de nos apprenants n’ont pas fait appel à l’assurance parce qu’ils pensaient qu’elle ne couvrait que les incendies…
- Au niveau des droits et des devoirs des locataires et des propriétaires : malheureusement, quand on est analphabète et que l’on ne connait pas la loi, on peut être floué par son propriétaire.
B. a eu une fuite d’eau dans sa salle de bain et l’eau a coulé sur le plancher. Le propriétaire lui a dit que le remplacement du plancher lui incombait. B. a donc dépensé quelques centaines d’euros pour le remplacer. Il ne savait pas que l’assurance pouvait intervenir et l’assurance aurait sans doute interpellé le propriétaire sur l’état très vétuste du plancher.
- Les arnaques à la location sont malheureusement aussi très fréquentes. Quand on est dans l’urgence, on peut répondre à des demandes qui ne sont pas légitimes : par exemple, celle de donner la caution de main à main sans documents officiels pour une location qui n’existe parfois même pas.
Que peut-on faire ?
Une première réponse est pédagogique même si elle demande du temps. Il s’agira de partir des expériences vécues et d’outiller les personnes face à ces difficultés tant au point de vue linguistique, psychologique, qu’au point de vue de la connaissance du monde (chercher un logement, se présenter à un propriétaire, lire un bail, faire un état des lieux, prendre une assurance, connaitre ses droits et ses devoirs…).
Cette réponse ne peut en aucun cas être envisagée en cas d’urgence tant la problématique est complexe et les connaissances / compétences à acquérir sont vastes et nombreuses.
Une autre réponse serait de faire un travail d’éducation permanente qui permette d’éclairer les situations, de les questionner et de s’y engager en toute connaissance de cause.
Un bon nombre de constats énoncés ont une réponse juridique qui est prévue par le code wallon de l’habitation durable4. Par exemple, pour éviter la location d’un logement insalubre, il existe un permis de location. Celui-ci est obligatoire depuis le 1er octobre 1998 pour les logements collectifs et pour les petits logements loués ou mis en location5.
Pourquoi alors, certains logements loués sont-ils insalubres ?
Plusieurs hypothèses peuvent être formulées :
- La rentabilité rapide et immédiate pour le propriétaire, même s’il y a des risques compte tenu de la difficulté de trouver un bien immobilier (à Verviers).
- La loi sur le permis de location est méconnue par les propriétaires.
- La réponse aux manquements de la part des institutions est trop faible.
- La commune ne vérifie pas le respect de la loi.
- Les démarches pour la location d’un bien sont complexes et les exigences élevées.
- L’amende pour non-respect du permis de location pour une année est trop faible (1500 €).
- …
C’est à ce niveau que le travail d’éducation permanente peut prendre toute sa place et faire avancer la réflexion et éventuellement l’action.
- Voir : https://www.verviers.be/ma-ville/administration/donnees-et-statistiques/donnees-statistiques-2024.pdf.
- Census 2011, Statbel, https://census2011.fgov.be/index_fr.html
- L’outil de simplification du « contrat de bail wallon de résidence principale » propose une version simplifiée mais légale du contrat de bail qui peut être utilisée pour des animations/apprentissages : https://www.province.namur.be/le-bail-locatif-wallon-mode-d-20-2-23
- https://wallex.wallonie.be/files/medias/10/CWHD.pdf
- Voir sur le site de la Région wallonne : https://www.wallonie.be/fr/demarches/obtenir-un-permis-de-location-petits-logements-kots-et-logements-collectifs.
