En didactique de l’alphabétisation et du français langue étrangère, le passage de l’approche communicative à l’actionnel constitue un changement de paradigme. Il en va de même avec le dépassement de la perspective interculturelle par la coculturelle. Ces changements agissent tant dans la conception des savoirs et des méthodes que dans celle des apprenants et, par extension, du lieu-classe. Avec les Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD), c’est un changement de paradigme semblable qui est à l’œuvre. C’est de cela qu’il sera question dans cet article, qui nous emmènera à la Cité Moderne, un bout du territoire de Berchem-Sainte-Agathe mobilisé en faveur de ce projet en région bruxelloise. Nous décrirons les moyens mis en œuvre pour explorer les besoins de ce territoire et de ses habitant·e·s, ainsi que les enjeux à venir en matière de mobilisation des habitant·e·s.

Une cité sans chômeur·se·s ?

Julien Charles, coordinateur de recherches au CESEP et chargé de cours invité à l’UCLouvain
Pierre Démotier, chargé de projet TZCLD au CPAS de Berchem
Antoine Scalliet, chargé de projet TZCLD chez ATD Quart-Monde

La Cité du Travail

Bruno Trentin publiait il y a 25 ans La Cité du Travail1. Dans cet ouvrage, il décrit comment l’organisation et les finalités du travail (que produit-on ? comment ? pourquoi ?) ont été abandonnées par les organisations syndicales et les partis politiques socialistes, en Italie et au-delà. Il défend que l’émancipation des travailleur·se·s2 ne peut être conquise uniquement hors de l’emploi, à travers par exemple une réduction collective du temps de travail (diminuer le temps durant lequel les travailleur·se·s sont subordonné·e·s au patron) ou via l’augmentation des salaires (compenser financièrement la subordination). Pour Trentin, l’émancipation se joue aussi dans les entreprises, au niveau même de l’expérience de travail3. Les TZCLD s’engagent dans cette voie. Les travailleur·se·s y sont considéré·e·s comme des partenaires, de l’identification des besoins du territoire jusqu’au pilotage de « l’entreprise à but d’emploi » (EBE). Ils explorent, avec d’autres, les besoins du territoire au sein de ce que les Français nomment le « Comité local pour l’emploi » (CLE). Ce Comité les aide à identifier leurs savoir-faire et aspirations. C’est au sein de cette instance, qui rassemble aussi les pouvoirs publics locaux et les associations, que les activités à développer au sein de l’entreprise sont identifiées. C’est au sein de cette entreprise, dont les travailleur·se·s sont représentés dans les organes de décision, que les activités sont développées. La place centrale accordée aux chômeur·se·s, puis aux salarié·e·s, contribue de façon décisive à faire du travail au sein de ce projet une expérience émancipatrice. Là, les droits politiques conquis dans les démocraties libérales ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise.

Mais il ne suffit pas d’énoncer que les êtres humains sont libres et égaux, en dignité et en droits, pour que ce soit le cas. Autrement dit, adresser une invitation au public-cible et compter le nombre de personnes présentes est largement insuffisant. Dans une perspective démocratique, il importe aussi et surtout que leurs contributions soient prises en compte4, que les participant·e·s soient doté·e·s des ressources dont ils·elles ont besoin pour s’exprimer et être entendu·e·s. L’une de ces ressources est le temps. Pour que le processus soit inclusif, du temps doit être consacré à informer et rencontrer les personnes privées durablement d’emploi sur le territoire, y compris celles qui n’apparaissent sur aucune liste. Il faut aussi du temps pour réunir celles et ceux qui se montrent intéressés par le projet afin qu’ils·elles puissent participer à sa construction. Il est par exemple nécessaire de prendre le temps de créer un groupe de pairs, entre personnes privées durablement d’emploi, pour préparer à l’avance les points qui seront à l’ordre du jour des rencontres avec les autres acteurs (pouvoirs publics locaux, associations, autres habitants…).

Le temps, c’est aussi la chronologie : ces rencontres avec les habitant·e·s doivent avoir lieu en amont du projet, non pas lorsque tout est déjà bouclé par les acteurs professionnels. Il faut aussi que, dès lors qu’elles sont salariées de l’entreprise, les personnes ne perdent pas leurs droits. Des délégations syndicales doivent être installées dans les entreprises créées dans le cadre du projet afin que les travailleur·se·s puissent collectivement faire entendre leur voix sur les enjeux qui les concernent. Mais ils·elles doivent aussi trouver le moyen de continuer à peser sur le développement des activités et les priorités de l’entreprise, au-delà des prérogatives accordées aux travailleur·se·s par le droit du travail.

La Cité Moderne

Pour examiner la façon dont ces principes et ces conditions peuvent s’incarner dès la préparation du projet TZCLD, nous proposons de partir de l’expérience en cours au sein de la Cité Moderne, à Berchem-Sainte-Agathe. Elle constitue l’une des réalisations emblématiques des cités-jardins du début du 20e siècle, destinées au logement de la classe ouvrière dans un cadre de vie facilitant le contact avec la nature et entre les habitant·e·s. Elle rassemble aujourd’hui encore des maisons et petits immeubles de style cubiste (angles droits et toits plats), construits en béton armé et orientés de façon à recevoir un maximum de lumière du jour.

Habitations de la Cité Moderne

Pour examiner la façon dont ces principes et ces conditions peuvent s’incarner dès la préparation du projet TZCLD, nous proposons de partir de l’expérience en cours au sein de la Cité Moderne, à Berchem-Sainte-Agathe. Elle constitue l’une des réalisations emblématiques des cités-jardins du début du 20e siècle,

destinées au logement de la classe ouvrière dans un cadre de vie facilitant le contact avec la nature et entre les habitant·e·s. Elle rassemble aujourd’hui encore des maisons et petits immeubles de style cubiste (angles droits et toits plats), construits en béton armé et orientés de façon à recevoir un maximum de lumière du jour.

Mais sur les 500 habitations prévues au départ, seules 274 ont été construites. Nombre d’équipements et de services collectifs envisagés n’ont pas été bâtis, faute de budget. Les extensions, réalisées au début des années 1960 et 2010, ne comblent pas ces manques. Et le classement patrimonial de la Cité en 2000 rend la rénovation du bâti plus difficile.

Depuis 20 ans, une dualisation s’opère alors dans le quartier entre les bénéficiaires de logements sociaux neufs et les personnes devant se contenter de logements dégradés. Cette dynamique suscite une densification et un rajeunissement significatifs de la population, appelés à s’intensifier dans les années à venir. En effet, outre les travaux prévus dans le cadre du Contrat de Quartier Durable (voir plus loin), la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale rénove actuellement les abords, façades et aménagements intérieurs de 173 logements sociaux de la Cité. Ces travaux impliquent le relogement des habitant·e·s concerné·e·s, et l’arrivée de nouveaux·elles habitant·e·s dans les espaces rénovés. Entre la dégradation du bâti, l’absence d’équipement collectif et d’espace public satisfaisants, les liens entre les habitant·e·s de la Cité Moderne peinent à se tisser. Le cadre de vie alimente un sentiment de découragement et d’abandon, comme l’indiquent à la fois les intervenants sociaux dans le quartier et les consultations menées dans le cadre du Contrat de Quartier.

La Cité Durable

La commune de Berchem-Sainte-Agathe a récemment obtenu un Contrat de Quartier Durable (CQD) afin de répondre à ces défis relatifs aux logements privés et infrastructures publiques, qui croisent aussi ceux de la mobilité locale et du développement économique du territoire. Dans le cadre de l’élaboration du dossier de base, deux Assemblées Générales ainsi que trois Commissions de Quartier ont été organisées entre septembre et décembre 2021, afin de recueillir les demandes des habitant·e·s du quartier. Peu de locataires des logements sociaux y ont pris part, les participant·e·s venant principalement des secteurs adjacents à la Cité Moderne – lesquels significativement mieux lotis socio-économiquement. Il en va de même concernant les jeunes de 15 à 25 ans, très présents dans l’espace public et régulièrement mentionnés dans les discussions, mais absents des réunions.

Quatre enjeux identifiés par le bureau d’étude en charge du Contrat de Quartier

  1. Rénovation et amélioration des habitations vétustes
  2. Amélioration des espaces publics et de la mobilité douce (e.a. état des trottoirs et gestion de la propreté).
  3. Installation de lieux de rencontres et de commerces locaux (les 26 cellules commerçantes ont disparu)
  4. Création de connexions au sein du quartier et avec ses environs pour faire face à la fermeture des venelles dans la Cité, au délaissement des espaces verts et à l’absence d’appropriation de la réserve naturelle du Zavelenberg.

Il existe au seuil de la cité un site remarquable : le Zavelenberg. Il constitue une zone agricole de 26 hectares, propriété de la Région et gérée par Bruxelles Environnement qui souhaite y développer un projet agroécologique. L’intégration de ce projet dans le Contrat de Quartier Durable et l’initiative TZCLD permet d’envisager des perspectives ambitieuses en termes de vitalité écologique, démocratique et sociale à l’échelle de ce territoire.

Il existe au seuil de la cité un site remarquable : le Zavelenberg. Il constitue une zone agricole de 26 hectares, propriété de la Région et gérée par Bruxelles Environnement qui souhaite y développer un projet agroécologique. L’intégration de ce projet dans le Contrat de Quartier Durable et l’initiative TZCLD permet d’envisager des perspectives ambitieuses en termes de vitalité écologique, démocratique et sociale à l’échelle de ce territoire.

Réparer la Cité

Afin d’identifier les besoins du territoire en accordant aux potentiel·le·s futur·e·s salarié·e·s de l’Entreprise à but d’emploi Berchemoise la place – centrale – qui leur revient, un Atelier de Quartier a été installé au cœur de la Cité Moderne, inspiré des Bureaux de Recherches et d’Investigation sur le Commun5 (Bri-Co). Cette activité a été menée par le CESEP et la Fédération des Services Sociaux (FdSS), dans le cadre d’une recherche commanditée par Actiris6 avec le soutien actif du CPAS. Nous avons tout d’abord procédé à plusieurs rencontres avec les acteurs collectifs présents dans le quartier. L’intention de cette étape est de constituer une sorte de Comité de regard, composé d’acteurs collectifs qui soutiennent la démarche sans s’impliquer dans l’Atelier lui-même. Avec ce comité, il est avant tout question de mener une ou des démarches exploratoires pour percevoir les éléments saillants du territoire, malgré notre méconnaissance des enjeux locaux.

Cette méconnaissance initiale constitue l’un des éléments déterminants de la démarche : elle permet donc au CESEP et à la FdSS d’occuper une position de tiers. Le caractère éphémère de l’intervention contribue également à limiter la coloration institutionnelle de l’Atelier, pour qu’il se donne à voir comme ce qu’il est matériellement : un espace ouvert et temporaire, accueillant activement les habitant·e·s, sans obligation de résultat si ce n’est la mémoire commune des rencontres. En tant que personnes extérieures au territoire et avec les habitant.e.s qui nous rejoignent, nous entreprenons l’investigation des réparations à faire dans le quartier. Celles qui peuvent être menées directement le sont. Les autres sont énoncées au terme de l’Atelier, restituées au Comité de regard et aux habitant·e·s eux-mêmes à qui nous proposons alors de se muter, ensemble, en un Comité de réparations.

Le mot réparation est à prendre dans son sens polysémique, incluant les aspects techniques (à Berchem, nous avons par exemple procédé à la remise en état de nombreux vélos) sans s’y limiter. Le vocabulaire de la réparation favorise en outre un sentiment de compétence des participant·e·s : chacun voit, souvent comme une évidence, ce qui doit être réparé et se sent légitime pour l’énoncer. « Ben, c’est simple ce qu’il faut réparer : vous avez vu dans quel état se trouve le trottoir ? ». Lorsque ces réparations sont portées à la vue de tou·te·s et formulées comme une demande de réparation, elles témoignent aussi d’une volonté de reconquête d’une relation, d’un droit ou d’un service perdu ou n’ayant jamais été acquis. Parmi les ingrédients constitutifs de cet Atelier de Quartier et de Bri-Co, la cuisine ouverte sans interruption constitue un élément central. Sa fonction est, évidemment, de nourrir au sens premier les personnes dans le quartier, en particulier celles qui vivent la pauvreté. Elle est aussi une manière efficace de travailler le lien social avec et entre les habitant·e·s en favorisant les ressources locales – des courses chez le commerçant du coin à l’ail émincé à la table que l’on débarrassera ensemble après y avoir mangé. Elle permet d’amorcer les rencontres, de prolonger les échanges, de décloisonner les discussions. A table, autour d’une tasse de café ou d’un repas, les habitant·e·s se parlent, partagent leurs histoires, leurs savoirs, leurs espoirs.

La cartographie a également été mobilisée en tant que technique rapidement appropriable afin d’entreprendre une description des manques et des potentiels du quartier, tout en représentant facilement les effets des réparations. Ces deux pratiques, la cuisine et le dessin, ont l’immense intérêt d’être en prise directe avec des pratiques ordinaires des habitant·e·s – y compris les plus jeunes. Elles contribuent ainsi à rendre moins difficile le franchissement du seuil de la participation dont nous parlions ci-dessus. Une troisième dimension essentielle réside dans une approche « hors les murs ».

L’installation de tables à l’extérieur, côté rue, ouvre l’Atelier sur le quartier. Plus généralement, en parallèle aux rencontres qui se vivent à l’intérieur, les chercheur·euse·s vont à la découverte des habitant·e·s dans les rues du quartier et sont régulièrement invité·e·s à entrer dans les maisons pour poursuivre les échanges entamés sur le seuil.

Explorer la Cité

Concrètement, le projet a été développé à Berchem avec le soutien actif du CPAS. Nous avons initialement rencontré la coordination Développement Durable et le comité de quartier, ainsi que les travailleurs et travailleuses sociaux de la coopérative de logements sociaux et du Service de Prévention. Nous nous sommes ensuite installés du 20 au 22 juillet 2021, de 9h à 18h, au centre de la Cité Moderne, dans les locaux de l’Antenne de Quartier récemment inaugurés. La date du 21 juillet avait été retenue afin de maximiser la présence de population lors de ce jour férié. La veille, l’Aïd Al-Adha a suscité des déplacements familiaux considérables dans le quartier qui nous ont permis de rencontrer facilement plusieurs personnes dans l’espace public.

Une équipe de deux cuisiniers a pris en charge le volet restauration tandis que quatre chercheur·euse·s et deux cartographes ont mené des entretiens individuels et collectifs avec les personnes rencontrées. Les échanges ont porté sur les questions liées à la problématique du travail et de l’emploi dans le quartier, mais aussi sur le quartier lui-même et les diverses réparations qui devraient y être entreprises. Une soixantaine de personnes ont été interviewées et une participation d’une grande diversité a pu être enregistrée, y compris la présence répétée de groupes de jeunes hommes.

Lors du dernier jour de l’Atelier, le Comité de regard a été invité à partager le repas de midi avec les habitant.e·s et l’équipe. S’en est suivi un moment de restitution de la parole des habitant.e·s. Il y a été jugé utile de passer sans attendre, et avec la participation des habitant·e·s concerné·e·s, aux premières réparations, notamment en affrontant la présence de tunnels ratiers sous les maisons. C’est dans cette tension entre les réparations à pratiquer dans les quartiers et les anticipations à envisager dans les territoires que se trouve sans doute la voie à suivre pour les futurs travaux de l’EBE et du CLE. C’est également dans cette tension que réside à la fois la capacité du projet à se rendre légitime aux yeux des personnes concernées et réintroduire de la confiance là où beaucoup d’initiatives sans lendemain sont venues à bout des espoirs et de la patience des habitant·e·s. C’est alors que nous, personnes extérieures au quartier, avons quitté l’espace physique du quartier pour laisser le Comité de réparation agir. Néanmoins, nous restons vigilants et revenons de temps à autres vers les acteurs institutionnels du quartier pour leur rappeler leur engagement à procéder aux réparations urgentes, mais aussi les ambitions plus larges qui ont été esquissées durant ces trois jours.

Cartographie des propositions d’activités sur le micro-territoire de la Cité Moderne

Au fil des échanges, la nécessité d’établir une Conciergerie de quartier multifonctionnelle a été consolidée. L’idée consiste à ouvrir un lieu, au sens matériel du terme, prédisposé à accueillir des usages multiples qui se trouvent aujourd’hui enfermés tantôt dans l’espace privé des domiciles, tantôt dans l’espace souvent inhospitalier des bâtiments publics. Il s’agit de rassembler à la fois des activités tenant du lien social (ateliers, formation, groupes de parole, salle de location, maison des jeunes, lieu d’accueil pour les femmes…) et d’autres relevant du dépôt, du réemploi ou de l’échange d’objets et de matériel (via commerce, prêt, don ou troc). Cette proposition prend appui sur l’Atelier lui-même, qui donne une assez bonne idée de ce que pourrait être un lieu hospitalier.

Le territoire se caractérise par l’existence de terrains à vocation agricole aux abords de la cité et de friches internes, fournissant un maillage intéressant de terres cultivables. Des projets émanant d’habitants du quartier existent mais n’ont pas pu être développés, notamment pour des raisons d’accès à l’eau d’arrosage. Une activité centrée sur la récupération et le stockage des eaux pluviales gagne donc à être considérée ici. Mais les projets actuels concernent uniquement l’intérieur de la Cité : le lien avec le Zavelenberg n’est pas explicitement effectué par les habitants. La construction de ce lien paraît capitale dans le cadre du TZCLD, en ce qu’il permet d’envisager un maraîchage de grande envergure, impliquant les habitant·e·s du quartier plutôt que faisant appel à des compétences extérieures. Les avis des habitant·e·s sont précis à cet égard : ils·elles ne souhaitent pas se voir dépossédé·e·s d’activités qui pourraient les intéresser et les impliquer.

Parmi les autres activités étayées par l’Atelier de Quartier, mentionnons pour terminer celles relatives aux bâtiments. Leur rénovation extérieure est rendue complexe par la patrimonialisation. A l’intérieur, il semble en revanche possible et nécessaire d’organiser un système de petites réparations. Le recours par les locataires à des opérateurs de métier extérieurs est aujourd’hui très faible : ce qui ne peut pas être fait par soi-même n’est tout simplement pas effectué, entraînant une vétusté accélérée des bâtiments et des alentours. D’autre part, les logements tels qu’ils ont été conçus il y a cent ans ne répondent pas aux normes, notamment énergétique, que vont exiger les bouleversements climatiques en cours. En soi, ils constituent des îlots de chaleur dommageables pour leurs habitant·e·s qui n’oublient pas que les accès aux jardins publics leur ont été interdits lors du premier confinement de la pandémie. La peinture des façades des maisons devra donc faire l’objet d’une attention particulière en matière de renvoi de la chaleur solaire et les salarié·e·s de l’entreprise locale pourraient le prendre en charge.

Mobiliser la Cité

La méthodologie développée à l’occasion de cet Atelier a permis de préfigurer la participation des habitant·e·s du quartier dans la constitution du Comité et de l’Entreprise berchemois. Aujourd’hui, le CPAS entend poursuivre ce travail et constituer un groupe de personnes privées durablement d’emploi autour de la mise en place d’un Territoire Zéro Chômeur. Si le Comité local regroupera à terme d’autres acteurs, plus rompus à la prise de parole en public, nous avons indiqué précédemment qu’il était crucial d’anticiper la participation du public-cible afin de renforcer leur légitimité à intervenir dans cet espace. Réunir un premier groupe de PPDE avant la constitution du CLE devrait permettre à ces personnes de « faire groupe », plutôt que d’être présentes en tant qu’individus isolés, et facilitera leur prise de parole dans les réunions du CLE.

La constitution du groupe permettra aux personnes concernées de se familiariser avec la méthodologie TZCLD, qui brasse des enjeux multiples sous des intitulés et des acronymes plus ou moins nébuleux. Dans l’installation de ce groupe, la difficulté principale aura trait aux enjeux institutionnels du dossier : alors que le dossier progresse en Wallonie, de nombreuses incertitudes persistent en Région de Bruxelles-Capitale. C’est pourtant grâce à la mobilisation des territoires que la loi française a été signée. Les analyses soutiennent d’ailleurs la nécessité de cette implication précoce des publics, indiquant que les implantations réussies de l’expérimentation concernent des territoires mobilisés très tôt, malgré l’absence de certitude quant à la réalisation du projet.

Concrètement, l’identification des PPDE intéressées est aujourd’hui menée par le chargé de projet TZCLD du CPAS de Berchem (l’un des co-auteurs de cet article) en collaboration avec les acteurs locaux, rompus au travail social de proximité. Cette collectivisation est nécessaire pour atteindre l’objectif d’exhaustivité, à savoir la rencontre des personnes « hors radar », pas ou plus recensées par les organismes d’insertion socioprofessionnelle et d’aide sociale.

Conclusion

S’il a été décidé de centrer l’Atelier sur la Cité Moderne, c’est pour créer de la confiance là où elle est le moins présente. Pour cette raison, comme nous l’énoncions, les premières réparations effectuées par le quartier sont décisives pour la suite du projet, même si le lien avec le projet TZCLD semble ténu. C’est en effet dans cette tension entre les réparations à pratiquer dans les quartiers et les anticipations à envisager dans les territoires que se trouve la voie à suivre pour les futurs travaux de l’EBE et du CLE.

Néanmoins, la fermeture du territoire de la Cité Moderne sur lui-même doit être rompue pour susciter l’hétérogénéité là où elle est possible. Redimensionner les territoires, les agencer et les associer ne doit pas faire obstacle. En effet, plus ce territoire hétérogène aura connaissance de la proposition et plus il aura pu faire connaître ses attentes, mieux les personnes les plus éloignées de l’emploi vivant sur ce territoire seront reconnues et valorisées – y compris par l’investissement économique dans les commerces de proximité à venir. Les biens et services produits par les EBE doivent effectivement trouver preneurs, c’est un truisme, certes, mais un truisme parfois négligé dans les expériences françaises.

Pour y parvenir, l’intrusion d’un tiers dans les moments de rencontre et de dialogues avec les populations locales paraît déterminant. Elle est d’une part utile à une création de confiance – perdue en l’institution, retrouvée dès lors que le vélo du gamin peut à nouveau rouler. Ce tiers est également une source de confiance pour les institutions locales qui piloteront les dépôts de candidatures. L’Atelier berchemois a permis en effet d’expérimenter un déplacement de l’autorité vers la cuisine plutôt qu’à la table des discussions, offrant aux habitants les moyens de décider de ce qui leur convient au lieu de subir ce qui a été planifié ailleurs. C’est en suspendant ainsi l’exercice de son pouvoir planificateur que l’autorité locale se rend perméable aux faits et aux réalités territoriales.

Le projet TZCLD impose de rompre avec certaines façons de faire et, fondamentalement, une transformation de la façon de traiter le chômage. En effet, si l’expérimentation TZCLD répond frontalement aux problématiques de sécurisation des moyens d’existence via des emplois à durée indéterminée, elle ne s’arrête pas là. Elle impose de traiter, dans le même temps, les enjeux liés aux conditions de travail entendues au sens large et l’anticipation des impacts socio-environnementaux des activités développées au sein de ces entreprises. Les TZCLD ne constituent donc en aucun cas une nouvelle aide à l’emploi. L’Atelier de quartier dont il était question ici permet de mieux comprendre et de mieux agir face à ce qu’il se passe dans les territoires concernés, où le défi de l’emploi croise en pratique les défis environnementaux et démocratiques. Ce ne sont dès lors pas seulement des contrats à durée indéterminée qui seront financés par les budgets alloués aux TZCLD mais, de façon plus ambitieuse, l’avenir des territoires et de ceux·celles qui y vivent.


  1. Bruno Trentin, La cité du travail. Le fordisme et la gauche, Fayard, 2012 (pour l’édition française ; 1997 pour l’édition originale en italien).
  2. Au sens de la classe sociale qui ne peut compter que sur son travail pour vivre, ne se limitant donc pas aux seules signataires d’un contrat de travail.
  3. Dans cette perspective, voir aussi Isabelle FERRERAS, Gouverner le capitalisme ?, Presses Universitaires de France, 2012.
  4. Mathieu BERGER et Julien CHARLES, Persona non grata. Au seuil de la participation, in Participations, vol. 9, no 2, 2014, pp. 536, https://www.cairn.info/revue-participations-2014-2-page-5.htm.
  5. Les Bri-Co, pour « Bureaux de Recherches et d’Investigation sur le Commun », sont des lieux conviviaux éphémères d’échanges avec et entre les habitants d’un quartier, tournés autour des « réparations » (changements à apporter au quartier) à mettre en place dans leur milieu de vie.
  6. Julien CHARLES, Tanguy EWBANK, Paul HERMANT, François MOENS, Thibault KOTEN, Territoires zéro chômeur de longue durée en Région de Bruxelles-capitale, Identifier les activités économiques pertinentes pour les territoires et leurs habitants, Etude commanditée par Actiris, Septembre 2021, https://www.cesep.be/PDF/ETUDES/2021/Etude_TZCLD_ConcertesFdSSCesep.pdf.