Claire Toutlemonde, Mihaela Sima et Daniel Mihailovic travaillent à Pantin, une commune en Seine-Saint-Denis à l’est de Paris. Il et elles accompagnent depuis des années des personnes migrantes et exilées pour qu’elles puissent accéder à leurs droits. Ces dernières rencontrent en effet des difficultés d’insertion, non seulement dans leurs démarches — pour faire enregistrer leur demande d’asile, obtenir un titre de séjour, le statut de réfugié ou encore pour faire valoir leur droit au séjour — mais aussi dans la plupart de leurs démarches d’accès aux droits et efforts pour se créer un cadre de vie digne en France. Face à ces situations complexes, Habitat-Cité considère qu’il faut agir sur trois obstacles essentiels, à savoir l’accès à l’hébergement et au logement, l’accès à l’emploi ainsi que la maîtrise du français, tous ces facteurs étant étroitement liés.
Le logement, une condition existentielle
CT : D’un côté, on propose des cours intensifs de français pour adultes1 et, dans ces formations, on accompagne ces personnes dans leur recherche d’emploi ou de formations professionnelles et/ou linguistiques et on oriente celles qui ont des problèmes de logement ou d’autres problèmes d’accès aux droits vers les services sociaux des villes où ils habitent ou ont une domiciliation administrative ou vers les Maisons de justice et du droits ou points d’accès aux droits. De l’autre, il y a tout un public qu’on accompagne, mais qui n’est pas forcément dans les cours de français et qui, lui, n’a pas la stabilité et l’énergie nécessaire pour suivre des formations linguistiques tellement leurs situations sont difficiles et leurs efforts orientés essentiellement sur la survie. On distingue donc deux types de profil : ceux qui réussissent malgré les difficultés ou justement parce qu’ils ont passé certaines difficultés sur le plan du logement ou de l’hébergement, et ceux qui sont bloqués à cause d’une trop grande instabilité et précarité : vie à la rue, dans des squats ou bidonvilles souvent sans ou avec un accès limité à l’eau ou à l’électricité, vie dans des environnements pollués.
Les situations des publics avec lesquels travaille Habitat-cité sont extrêmement variées et ne vont pas sans impacter les suivis et parcours d’apprentissages. Les chiffres sur la situation des personnes reçues en cours sont significatifs.
CT : Ces dernières années, sur les 430 personnes qu’on a reçues en formation intensive, on voit qu’il y en a très très peu qui sont en squat ou à la rue. Seuls 3% sur toutes les formations étaient sans domicile fixe, pour dire à quel point les gens sans domicile n’ont pas les moyens de suivre ce genre de programme… Pour ceux qui dorment dans des tentes ou des voitures, par exemple, ça peut être très difficile après des nuits compliquées où on est toujours pourchassés par la police.
35% étaient en centre d’hébergement ou en centre d’accueil. C’est des gens qui font appel aux 1152 pour de l’hébergement à la nuit ou en long séjour ou qui sont dans des centres d’hébergement pour réfugiés ou demandeurs d’asile pour un temps plus au moins long. Dans cette situation-là, on voit que les gens ont une certaine stabilité. Après, ça nous est déjà arrivé de voir des gens qui interrompaient leur formation pour cause d’expulsion…
28% ont leur logement personnel et 18% des gens en formation étaient hébergés par des amis ou de la famille. Ça comprend aussi ceux qui ne sont pas forcément chez des proches, mais qui partagent un loyer avec des tiers, parfois dans des logements sous-loués, surpeuplés etc.
Du coup, les gens très mal logés ne sont pas du tout dans nos cours intensifs, parce qu’ils n’y arrivent tout simplement pas. Et quand on regarde les taux d’abandon, la quasi-totalité des gens mal logés et sans domicile quittent la formation avant son terme, là où, en général, pour les autres situations, c’est entre 70% et 75% des gens qui finissent la formation.
Mihaela, qui travaille essentiellement avec des publics roumano-phones, explique.
MS : On a pu avoir des gens qui, en formation intensive, étaient hébergés à gauche ou à droite par des amis et dont l’hébergement changeait assez régulièrement. Nous, on est dans le département 93 et ces personnes-là, parfois, elles se retrouvaient dans le 77 ou 783, c’est donc assez loin pour venir suivre des cours à Pantin. Ils essayaient de s’accrocher, mais au bout d’un moment, en fait, l’épuisement faisait qu’ils laissaient tomber. Ce qui est normal et compréhensible : ce sont des situations assez précaires. Après, il y a aussi la question des logements en situation de suroccupation : ils sont plusieurs à payer un loyer dans un espace assez petit où chacun fait sa vie. Mais voilà, les gens ont des rythmes différents. Il y en a qui peuvent vouloir écouter de la musique, alors que quelqu’un veut étudier ou même dormir. Ce ne sont pas des situations qui sont propices à l’apprentissage, donc forcément ça a un impact aussi sur leur motivation à s’investir dans une activité qui nécessite quand même de l’énergie et du temps.
Après, j’ai essayé d’aborder la question de l’apprentissage du français avec les personnes que j’accompagne sur l’accès aux droits ou l’emploi et qui ne suivent pas nos formations intensives ou nos cours non intensifs, mais elles sont dans des situations trop précaires et trop dures économiquement pouvoir ne serait-ce qu’y penser. Certaines personnes ne savent ni lire ni écrire et ça a un impact sur leurs échanges avec les travailleurs sociaux, sur leurs rendez-vous, sur la gestion de tous leurs comptes en ligne : France travail, CAF, Ameli4… Donc ils sont dépendants de moi. En plus, ils essayent de subsister avec des activités de survie informelles — sans contrat — et c’est la seule chose qu’ils peuvent faire, en tout cas, au moins tant que leurs conditions de logement ne se stabilisent ou ne s’améliorent. Par exemple, une famille avec trois enfants que j’accompagne vit dans un squat où les conditions de vie sont assez complexes. Les personnes qui y vivent ne sont pas assez respectueuses de la tranquillité des autres. Le couple craint pour ses enfants et a peur de les laisser seuls dans des situations d’insécurité. Et même si j’ai essayé de leur dire que ce serait bien de commencer à apprendre le français pour la recherche d’un travail, ou même pour plus tard, pour eux, ce n’est même pas envisageable d’y réfléchir ou de se projeter.
Daniel, qui lui s’occupe plutôt de publics russophones, fait part de son expérience :
DM : J’accompagne, par exemple, des tchétchènes qui ont vécu pendant des années en Pologne avant de venir en France. Ils sont partis de Tchétchénie parfois vers la Russie, puis en Pologne voire en Biélorussie et puis certains en Turquie, et après ils sont arrivés en France. C’est comme s’ils avaient eu plusieurs vies. Donc se mettre à l’apprentissage et décider « voilà, je vais rester en France et je vais apprendre le français », ce n’est pas si évident. Et ces personnes faute d’hébergement louent une place en squat5, en caravane ou dans des sous-sols, des choses comme ça, au noir. Bon, c’est des tarifs qui parfois sont accessibles, mais ce ne sont pas des conditions dignes pour l’existence. Et très souvent, en France, on a des réfugiés qui n’ont jamais été hébergés, ils n’ont même jamais vu un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, ils ne savent pas à quoi ça ressemble : ils ont toujours vécu en squat ou à la rue.
En l’absence d’un logement digne et confrontés à des situations d’extrême précarité, ces publics se tournent systématiquement vers des emplois eux aussi précaires :
MS : Ils étaient pas mal à rechercher des opportunités de travail où, notamment la maîtrise du Français, n’était pas tellement nécessaire ou ne les bloquait pas. Donc je crois que pour eux c’était moins un enjeu de suivre les cours.
DM : Il y en avait qui ne comprenaient pas trop l’intérêt [de suivre
les cours] puisque la plupart des travaux qu’ils pouvaient faire, surtout quand ils n’avaient pas de papiers, c’était sur des chantiers avec d’autres
compatriotes ou d’autres russophones. Donc, effectivement, c’est plus facile, surtout si c’est au noir, qu’on ne va pas recevoir des fiches de paie et qu’on n’a pas besoin d’un compte bancaire. Enfin bon, on n’a pas forcément besoin d’apprendre ou de parler le français pour ça, mais ça enferme les personnes dans une précarité qui est incroyable. Et même quand ils obtiennent un statut de réfugié, ça ne change pas forcément grand-chose à leur vie : ils continuent à habiter en squat. Et ils ont le droit de s’inscrire à pôle emploi, de demander des formations, demander des aides. Et ils ont le droit de travailler légalement sans utiliser des faux papiers ou sans être au noir, mais ça ne règle pas leur situation comme ça, comme une baguette magique.
Si l’acquisition du statut de réfugié est loin de régler les difficultés des apprenants, c’est que, vivant parfois plusieurs années en l’absence d’un lieu de vie digne, les migrants finissent enfermés dans une précarité existentielle qui dégrade parfois irréversiblement toutes les dimensions de l’existence : absence de vie sociale, insécurité, exploitation, fatigue, vulnérabilité physique et mentale, incapacité de se projeter… La précarité dont parle Daniel Mihailovic dépasse de loin la question purement économique, c’est bien la possibilité de vivre une existence humaine digne qui est ici en jeu. Ainsi, disposer d’un endroit sécurisé et propre où il est possible de se reposer et de se ressourcer est une condition matérielle indispensable pour être physiquement et mentalement capable de s’investir à moyen ou long terme dans une activité quelle qu’elle soit. Et même si les pouvoirs publics semblent reconnaître la crise de l’accès au logement, les aides structurelles pour aider les personnes en situation de précarité à y accéder demeurent largement insuffisantes :
CT : Aujourd’hui, en France, il y a un programme qui se déploie dans tous les départements et qui s’appelle « AGIR »6. L’idée c’est de proposer un accompagnement aux réfugiés — pas aux autres étrangers : c’est souvent les réfugiés qui sont ciblés par ces investissements généraux — vers l’emploi et le logement, en parallèle. Ce qui montre effectivement que les pouvoirs se rendent compte qu’il y a un gros problème au niveau du logement. En l’occurrence, ce sont des travailleurs sociaux qui aident les réfugiés avec leurs demandes de logements sociaux et leur fournissent un accompagnement pro[fessionnel]. Mais en même temps, en France, il y a de moins en moins de production de logement social. Donc, il y a une ambivalence : publiquement, on dit qu’on prend la question au sérieux et on fait des investissements pour qu’il y ait des conseillers qui accompagnent vers le logement, mais, à côté, les investissements dans le logement ne sont pas suffisants. Du coup, la crise du logement est pas du tout résolue par ce genre de dispositif.
La dégradation des politiques sociales
L’observation de Claire Toutlemonde rappelle l’ampleur du problème et la nécessité de véritables changements structurels. Faute de quoi, les dispositifs de gestion de la population continueront de produire ces espaces en marge que le philosophe Norman Ajari décrit comme ne se trouvant ni du côté de la mort, ni du côté de la vie, mais dans un entre-deux invivable7. D’un autre côté, en janvier 2025, la nouvelle loi sur l’immigration en France entre en vigueur, compliquant davantage l’acquisition du titre de séjour et de la nationalité. Ce durcissement, venant s’ajouter à la crise du logement abordable, confirme une fois de plus la dégradation des politiques sociales et laisse entrevoir ses conséquences à la fois sur le monde associatif et sur les publics concernés issus de l’immigration.
DM : Maintenant en France, il faut avoir passé un examen qui atteste du niveau A1, A2 ou B1, B2, selon ce qu’on demande. Avec la nouvelle loi immigration, il faut, pour obtenir un titre de séjour de 2 à 4 ans, un A2 minimum ; pour avoir la carte de 10 ans, il faut un niveau B1 ; et pour la naturalisation, B2.8
MS : Et sans prendre en compte la question des personnes qui étaient illettrées à l’arrivée sur le territoire ou qui le sont encore aujourd’hui, et qui du coup ont des difficultés spécifiques d’apprentissage et pourront difficilement se hisser à ces niveaux-là.9
DM : Oui, parce qu’en plus il faut que ce soit le même niveau à tous les secteurs : à la compréhension écrite, orale, dans la prise de parole etc.
CT : Et maintenant on doit aussi montrer qu’on connaît les valeurs françaises. On doit suivre un stage en plus des cours de français : la formation civique10. Et, ça aussi, ça va faire l’objet d’un examen alors qu’avant, il suffisait juste de suivre les cours. La semaine dernière, des gens nous posaient la question : est-ce qu’il va y avoir des interprètes ? Bien-sûr que non, il ne va pas y en avoir. Comment on va faire pour les gens qui ne savent ni lire ni écrire et qui doivent répondre à cet examen ? On ne sait pas… Mais il y a un temps, des Français ont passé l’examen de niveau B2, pour montrer qu’il est dur même pour les Français, et ils l’ont raté11. Il y a un hiatus entre la manière dont on évalue les personnes, ce sur quoi on les évalue et leur capacité réelle. Des gens nous ont dit, il y a quelques années, sortis un peu paniqués de leur l’examen, qu’on leur avait demandé de faire une production écrite sur leurs vacances au ski…
La nouvelle loi sur l’immigration prévoit également de s’aligner sur la tendance générale qu’est la numérisation des services publics.
DM : En France, aujourd’hui, il y a vraiment un grand effort pour aller dans le tout-numérique, pour numériser toutes les démarches, y compris les démarches de titre de séjour et l’asile. Par exemple, maintenant on ne vous envoie plus la convocation pour l’entretien à l’OFPRA12 : c’est une box numérique. J’ai un jeune mauritanien qui a vécu des situations d’esclavage et qui n’a jamais appris à lire ni à écrire. Faire une démarche sur l’ordinateur c’est pour lui totalement impossible. Eh bien, on a tout de suite rejeté sa demande d’asile parce qu’il n’a pas su consulter son espace numérique. Personne ne lui avait expliqué qu’il fallait qu’il y aille régulièrement et que s’il ne savait pas le faire, il devait s’adresser à quelqu’un pour y arriver. Et comme il n’a pas vu qu’il était convoqué, il n’a pas été à l’entretien et donc, automatiquement, il y a eu un rejet. Et comme il n’a pas vu son rejet à temps, il n’a même pas pu faire son recours à la Cour nationale du droit d’asile. C’était plié : en deux mois, il était hors du système. Mais ça, c’est un exemple parmi tant d’autres, et c’est comme ça à tous les tous les échelons en fait. En plus avec des systèmes numériques qui fonctionnent mal, avec des bugs…
CT : En France, des cours de langue gratuits étaient normalement délivrés par le gouvernement, même s’ils étaient sous-traités. Et là, cette année, ça passe au tout numérique : il n’y aura plus de cours en présentiel sur le marché. Sauf pour les personnes non-alphabétisées parce qu’ils se rendent quand même compte que, là, c’est compliqué d’utiliser un téléphone. Pour tous les autres : un téléphone suffit selon eux pour apprendre le français. Il n’y a plus besoin de la classe ni du professeur. De nouveau, on fait abstraction du fait que les gens n’ont absolument pas les conditions matérielles propice à l’apprentissage.
Retrouver de la dignité avec les apprentissages
Malgré les obstacles et les difficultés évoquées plus haut, les cours peuvent aussi constituer des moments d’accalmie qui ouvrent des brèches de dignité et même des possibilités de vie. Daniel, Mihaela et Claire font le récit de cas particuliers.
DM : Philippe Bonnaves (un formateur bénévole) a essayé de faire plus que de simples cours en proposant des activités différentes. Un jour, ils sont allés à un petit théâtre ici à Pantin : Le théâtre La Nef. Et là, un Géorgien qui avait fait la guerre en Abkhazie et qui se vantait d’avoir été nommé héros de la Géorgie a eu un coup de foudre avec le monde du théâtre, la scène, le jeu… Ils leur ont fait jouer des petits trucs, et ensuite, il a pris contact avec le théâtre. Il est revenu régulièrement et il est peu à peu devenu l’homme à tout faire du directeur. Il a essayé d’apprendre le français suffisamment que pour pouvoir être comédien, mais il s’est rendu compte par après qu’il ne le serait jamais. Entre temps il a quand même vécu presque deux ans avec cette troupe. Enfin, c’est important de faire des sorties, des accompagnements, des visites, que ce soient des musées, des entreprises, afin que chacun puisse se trouver une motivation.
MS : Une des bénévoles FLE m’a parlé des ateliers de ventriloquie, parce qu’ils font ça aussi avec la Nef. Elle me disait : « J’ai une personne qui était très difficile à faire parler pendant les cours, à faire participer. Et alors, là, elle s’est complètement épanouie avec les ateliers et elle se moquait même de moi parce que je n’arrivais pas à faire ce qu’elle avait fait. » Et du coup il y a des choses qui se sont déclenchées. C’est en fonction des personnes : elles sont touchées par des choses parfois très différentes et c’est souvent assez étonnant.
CT : D’ailleurs, dès qu’on a suffisamment de financements pour nos formations intensives (ce qui n’est pas toujours le cas), on fait des partenariats avec le théâtre dont parlait Daniel et d’autres associations qui font plutôt du cinéma ou du bricolage. Et on a organisé plein d’ateliers qui sortaient du cours de français, où des gens ont pu faire des courts métrages avec nous, des capsules vidéo, des capsules sonores…
On a beaucoup parlé des publics adultes, mais on anime aussi des cours dans les bibliothèques de la ville pour les jeunes mineurs qui viennent d’arriver sur le territoire et qui sont en attente de scolarisation. En France, globalement, ces mineurs sont rarement logés ou même hébergés parce que beaucoup se voient opposer le fait qu’ils ne sont pas vraiment mineurs. Ils doivent donc prouver devant un juge qu’ils le sont et, dans cet intervalle de temps où ils attendent leur audience, ils n’ont pas le droit d’être hébergés par le 115 ni la possibilité d’intégrer des foyers ou des aides sociales à l’enfance. Donc, on reçoit depuis des années des jeunes qui sont majoritairement à la rue. Ils dorment souvent en tente à l’extérieur et parfois ils occupent des lieux à Paris comme l’espace culturel de la Gaîté Lyrique où il y a eu une grosse expulsion, il y a trois jours13.
Ces jeunes, malgré le fait qu’ils sont à la rue dans une énorme précarité et une énorme vulnérabilité, on constate qu’il y en a plein qui s’accrochent au cours de français comme à une bouée. C’est un espace où ils peuvent oublier la difficulté de ce qu’ils sont en train de vivre et où ils se projettent déjà dans l’après qui est le moment où, potentiellement, ils vont pouvoir aller à l’école. Du coup, même s’ils n’ont pas dormi de la nuit, même s’ils n’ont pas mangé, il y a énormément de jeunes qui viennent vaille que vaille à nos cours. C’est aussi parce que c’est salutaire pour eux, pour leur santé mentale, pour continuer à se projeter, pour se donner les chances aussi de peut-être intégrer plus facilement des formations.
Il y a des associations à Paris, je pense au BAAM14 ou à Utopia 56, qui organisent souvent des cours dans l’espace public. Du coup, c’est plus facile pour les gens en errance ou en hébergement très instable d’y assister parce qu’il n’y a pas de processus d’inscription. Tu vois [le cours], tu t’assois et il n’y a pas à demander la permission. C’est des bénévoles qui vont se répartir les tâches : il y en a un qui va faire l’alphabet sur un tableau, l’autre qui va faire des choses un peu plus difficiles. Et ceux qui sont là s’autopositionnent et savent très bien ce qui est le plus adapté à leur niveau. Beaucoup se tournent vers ce genre de solution, parce qu’ils savent que ça va être hyper utile, pour leur démarche notamment. Je pense au fait que, nous, on a tout un process d’inscription qui n’est peut-être pas compatible avec le fait de venir un peu puis un peu repartir.
DM : On a aussi essayé d’aller vers les personnes qu’on a suivies c’est à dire d’amener le cours de français dans le squat — ici dans la même rue, il y a un squat avec de jeunes hommes tchétchènes. Dans la période de COVID, on a fait ça pendant l’été, ça a duré deux mois, ce n’était pas très long, mais quand même. L’enseignante de français allait dans le squat pour donner des cours et effectivement, il y avait quelque chose qui se passait puisqu’il y avait des personnes qui ne seraient jamais allées au cours autrement qui, là, assistaient aux cours, se prenaient au jeu et puis qui, plus tard, sont allées plus loin. Pour d’autres, c’était juste une parenthèse.
Les témoignages des travailleur·euses d’Habitat-Cité illustrent combien la question du logement impacte, de manière profonde, celle des apprentissages. Quand la vie quotidienne se déroule au sein d’hébergements précaires ou est rythmée par le risque d’expulsions, trouver du temps, de l’énergie et de la concentration pour apprendre devient extrêmement difficile, voire impensable. Il ne s’agit pas là d’un simple problème matériel : c’est avant tout un équilibre et une dignité de vie qu’il est impossible de construire lorsqu’on est en état de précarité ou d’insécurité permanente.
Face à cette réalité, accompagner les personnes migrantes ne peut pas se limiter à l’apprentissage du français ou à des dispositifs isolés. Il s’agit de repenser plus globalement leurs conditions d’accueil, de garantir à chacun·e un lieu où poser ses affaires, où retrouver du repos et de la stabilité. Car si les pouvoirs publics exigent aujourd’hui des niveaux de langue de plus en plus élevés au nom de l’intégration, ils offrent trop peu de moyens concrets pour permettre véritablement un accès à l’insertion — non seulement par la langue, mais également par l’accès à des conditions dignes d’existence. Ce décalage profond souligne à quel point l’accès à un chez soi reste un préalable incontournable à tout véritable parcours d’insertion.
- En plus de ses formations intensives, Habitat-Cité propose aussi des cours qui s’étendent sur la durée. Ceux-ci sont donnés par des bénévoles et s’adressent à des groupes globalement réguliers.
- Le 115 est un numéro d’urgence gratuit et ouvert 24h/24 tous les jours de l’année, même les jours fériés, partout en France. Il est à appeler en cas de crise (expulsion, violences familiales…) et constitue un service qui octroie une aide pour trouver un hébergement d’urgence pour la nuit, dans un centre, pour peu qu’il reste une place.
- Les départements de Seine-et-Marne (77) ou d’Yvelines (78) appartiennent à la région d’Île-de-France, mais le déplacement jusqu’à la capitale ou jusqu’à Pantin peut durer plus d’une heure, que ce soit en transports en commun ou en voiture.
- France Travail, anciennement Pôle emploi, est l’établissement public chargé de l’emploi en France. Les caisses d’allocations familiales (CAF), comme son nom l’indique, apporte un soutien financier aux salariés et professionnels ainsi qu’à toutes les personnes sans activité professionnelle qui résident en France avec leurs enfants. Quant à Ameli, l’acronyme désigne le site internet de l’Assurance Maladie en France.
- Il arrive que des personnes migrantes occupent des bâtiments vides (squats) à leur arrivée en Ile-de-France en raison du manque de places d’hébergement. Dans certains cas, des marchands de sommeil monnaient l’accès au squat contre un loyer plus ou moins important.
- Le programme AGIR interministériel est piloté par la Direction générale des étrangers en France (DGEF), en partenariat avec la DIHAL, la DIAIR, l’OFII et la DGEFP. Il a pour objectif de « systématiser l’accompagnement global des bénéficiaires de la protection internationale (BPI) vers l’emploi, le logement et l’accès aux droits » [https://refugies.info/agir#program].
- Cet entre-deux est aussi caractérisé comme « espace de l’indigne ». Ajari Norman, La dignité ou la mort. Éthique et politique de la race, Paris, La Découverte, 2019, p. 98-100.
- Pour rappel : A2 correspond au niveau « intermédiaire » ou « usuel », soit à une maitrise usuelle de la langue qui permet d’avoir des échanges simples et directs d’information sur des sujets familiers ou du quotidien. B1 correspond au niveau « seuil », soit à une maitrise qui permet d’être autonome dans la plupart des situations rencontrées, d’exprimer des idées, des projets ou des expériences, et de comprendre les points essentiels d’une discussion. B2 correspond au niveau « avancé », soit à une maitrise qui permet de comprendre des textes ou conversations sur des sujets complexes ou spécialisés, et de communiquer avec spontanéité et aisance sur une grande variété de sujets. Voir : Le cadre européen de référence pour les langues (CECRL).
- Il y a quelques années, la seule preuve d’une participation à un cours suffisait. Désormais, il faut pouvoir prouver son niveau de français sous peine de devenir expulsables après 3 ans. On estime à 20 000 le nombre d’immigrés qui seront expulsables, et à 40 000 ceux qui se verront refuser la carte de résidant.
- La formation civique est obligatoire et se déroule sur 4 jours étalés sur une période de 4 mois. Elle vise à inculquer les valeurs de la République et les règles de vie de la société française.
- L’émission de France 2 « L’Œil du 20h a invité 10 volontaires à passer le test de français pour la naturalisation, d’un niveau universitaire B2, en condition réelles. Bien que diplômé·es, 5 n’ont pas eu la moyenne et 2 ont même raté le test : [https://www.france24.com/fr/…].
- Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides.
- La Gaîté Lyrique est un espace culturel qui accueille plus de 300 acteurs culturels et politiques issus de la société civile. De décembre 2024 à mars 2025, des centaines de jeunes en situation de crise et sans logement occupent l’espace culturel qui décide de fermer ses portes au public pour mieux les accueillir. Le 18 mars 2025, ce sont plus de 400 jeunes qui sont expulsés par les forces de l’ordre, sans solution de relogement. Il est possible de suivre l’évolution de la situation, qui a beaucoup changé depuis, sur le site internet de la Gaîté Lyrique : [https://www.gaite-lyrique.net/].
- Le Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des Migrant·es [https://baamasso.org/fr/].
