Dans le cadre d’une série d’animations menées en partenariat avec La Fonderie1, nous avons abordé nos objectifs avec les participants. Ce fut une séance riche en partages et en échanges à propos du mot « objectif » et de ce que l’on y met, mais également à propos du mot « critique », présent dans un des objectifs proposés : « s’entrainer à regarder son quartier pour devenir critique ». Nous aimerions vous présenter cette séance dont la démarche s’inscrit dans l’éducation populaire.

Décoder collectivement les intentions du formateur. Ou comment mettre en commun ses objectifs avec les participants

Nathalie De Wolf et Bénédicte Verschaeren,
Collectif Alpha

En introduction, il nous parait précieux de rappeler quelques éléments de notre projet pédagogique, tirés de la plateforme qui donne les lignes directrices du Collectif Alpha2 : « Au Collectif Alpha, nous défendons une relation pédagogique basée sur le respect et la reconnaissance. Nous tentons d’instaurer une dynamique de groupe dans laquelle chacun a un rôle et qui permet l’apprentissage et l’évolution de tous les acteurs (participants et formateurs). Cela nécessite d’arriver à un climat de confiance, de respect et de reconnaissance mutuels, d’élaborer une relation pédagogique basée sur les ressources des participants et non sur leurs manques, sur l’échange et le respect mutuel. (…) Nous définissons la relation pédagogique comme une relation dans laquelle le formateur met sa volonté et sa responsabilité d’enseignant au service de la volonté et de la responsabilité d’apprenant des participants, dans un rapport d’intelligence à intelligence. Si cette relation est égalitaire, les rôles et les responsabilités de chacun sont cependant différents. Le formateur a le pouvoir et la responsabilité de son enseignement, le participant a le pouvoir et la responsabilité de son apprentissage. S’il ne peut avoir une obligation de résultats, ceux-ci dépendant de nombreux facteurs, le formateur a cependant une obligation de moyens : démarches structurées, organisation, matériel,… ».

Durant l’année 2019-2020, chaque vendredi matin, nous avons mené des ateliers de réflexion avec les participants à propos du quartier où ils habitent. Cette activité fut suspendue en raison du confinement lié au covid à partir du mois de mars. Nous avions alors travaillé pendant dix séances.

En septembre 2020, à la reprise des cours, nous avons repris notre atelier et nous nous sommes demandé, nous les formatrices, si nos objectifs étaient apparus aux participants. En effet, nous ne les avions pas clairement présentés au groupe ; néanmoins, nous espérions qu’ils étaient suffisamment explicites lors des animations. Un doute subsistait, nous avons donc construit cette animation afin d’en avoir le cœur net, et si cela s’avérait nécessaire, nous annoncerions de façon plus perceptible nos objectifs.

Quels objectifs pour les vendredis matin ? On fait quoi ?

Notre idée pour la première séance était de réfléchir aux objectifs de ces animations du vendredi matin, celles qui s’étaient déjà déroulées et celles à venir, nos objectifs en tant que formatrices et ceux auxquels les apprenants adhéraient.

Pour cette séance particulière, nous avons proposé de :

  • se souvenir du travail de l’année précédente ;
  • donner des outils « méta » de réflexion sur ce que l’on a fait, sur le travail réalisé, sur le pourquoi de ces animations, et sur les intentions et motivations des formatrices ;
  • développer une position « méta » par rapport au travail effectué l’année précédente (dépasser le « on a fait », le « j’aime », le « je sais ») ;
  • se plonger dans la tête des formatrices ;
  • donner une signification à un mot à l’aide d’images ;
  • lire pour comprendre le sens : repérer les mots importants qui permettent de comprendre des phrases ;
  • formuler des questions du type « je n’ai pas compris, qu’est-ce que cela veut dire » et rechercher collectivement la compréhension de ces termes ;
  • s’approprier le travail de la matinée par l’intermédiaire d’un écrit, après un échange verbal.

Durée

Une séance de 3h environ.

Matériel

  • Des photos variées illustrant une personne effectuant une tâche, par exemple faire un gâteau, jouer au foot, courir, apprendre à nager, faire du vélo, monter un meuble, lire un livre.
  • Des bandelettes prédécoupées avec sur chacune un de nos
    objectifs écrits.

Déroulement

Amorce : on écrit le mot « objectif » au tableau, chacun individuellement en silence réfléchit à la signification du mot (pas de verbalisation).

Cette évocation en silence a permis à chacun de « vagabonder » avec ce mot. Certains le comprenaient bien ; pour d’autres, celui-ci restait flou.

2  Chacun tire au hasard une photo.

Nous demandons aux participants : « À votre avis, quelle est la question que nous allons poser en lien avec le mot écrit au tableau et la photo que vous avez reçue ? »

Sachant que nous allons parler du mot « objectif », ils énoncent spontanément une série d’objectifs qui leur sont propres. Lors de cet échange, nous nous rendons bien compte que le mot leur est familier.

4  Ensuite, chacun est invité à préciser quel pourrait être l’objectif de la personne sur la photo tirée.

Lors de la mise en commun, une formatrice note au tableau (sous forme de bulles) ce que les apprenants disent de l’« objectif » de la personne qui se trouve sur leur photo :

  • « Apprendre à faire un gâteau en deux mois. »
  • « Apprendre à rouler en vélo. »
  • « Marquer un goal. »
  • « Apprendre à nager. »
  • « Faire un meuble. »
  • « Venir en vélo. »
  • « … »

Ensuite, un apprenant relit les objectifs écrits au tableau.

Ces premières étapes ont fait émerger l’objet de l’animation. Nous pensions que réfléchir d’abord sur la signification du mot « objectif » permettrait à chacun de mieux comprendre ce concept qui allait être utilisé dans la suite de l’animation. Nous étions dès lors plongés dans le thème du jour !

5  Nous posons la question : « D’après vous, quels sont les objectifs des séances du vendredi matin de l’année passée ? »

Chacun émet une idée. Le travail de groupe permet de relancer les idées et de mutualiser celles-ci, chacun a l’occasion de rebondir sur ce que dit le précédent.

Nous notons au tableau ce que disent les participants. Régulièrement, nous demandons de relire ce qui est écrit afin que chacun puisse le mentaliser :

  • « Comprendre l’histoire de la Belgique, voir, regarder, savoir. »
  • « Apprendre à s’exprimer, à communiquer, écouter. »
  • « Connaitre le plan de la Belgique, de Bruxelles, le canal. »
  • « Apprendre à expliquer [après avoir dessiné]. »
  • « Sortir dans la rue. »
  • « Regarder un dessin dans la rue. »
  • « Comment on était avant, comment on est maintenant,
    pour montrer
    [comment c’était] avant. »
  • « Apprendre à dessiner. »
  • « Connaitre le nom des rues. »
  • « Travailler en groupe. »

Nous demandons quels sont les mots importants dans ces phrases, les mots qui représentent « ce que l’on fait ». Nous les soulignons.

Ce moment était riche en précisions apportées de part et d’autre, grâce aux discussions animées au sein du groupe.

6  Chacun reçoit/pioche une bandelette et la lit (individuellement et en silence). Sur ces bandelettes sont notés nos objectifs. Lors de la mise en commun, papier retourné, chacun explique ce qu’il a lu, en essayant de le formuler sans regarder la bandelette.

Nos objectifs retranscrits sur les bandelettes commencent toujours par « Bénédicte et Nathalie proposent » :

La lecture de ces items n’était pas toujours facile. Collectivement, les uns et les autres complétaient, certains donnaient des exemples. D’autres parlant bien français expliquaient aux plus hésitants. Éventuellement, nous aidions en posant des questions qui permettaient d’éclaircir la compréhension de la phrase. Une discussion s’en est suivie.

Nous notons au tableau ce qu’ils disent (donc nos objectifs) en regard des objectifs supposés par les apprenants du groupe.

Nous terminons par un échange collectif, nous comparons les similitudes et les différences entre nos objectifs et ceux supposés par les apprenants, tels qu’écrits au tableau.

Bien qu’il y ait une différence dans la formulation, on a néanmoins ressenti une similitude au niveau du fond.

8  S’ensuit un moment de synthèse : chacun est invité à formuler une critique (à l’oral). Ainsi chaque participant s’approprie réellement la signification du mot. Puis, nous leur demandons d’écrire deux critiques en lien avec le cours, l’une positive, l’autre négative.

Nous terminons par une lecture des critiques et une discussion collective :

  • « Pas sortir quand il fait froid, sous la pluie. »
  • « On apprend des nouvelles en sortant. »
  • « Quand on connait comment cela se passait avant, on comprend mieux ce qui se passe aujourd’hui. »
  • « C’est bien de connaitre le passé pour le transmettre aux enfants. »
  • « … »

Quelques réflexions suite à l’animation

Tout d’abord, nous avons tous été agréablement surpris. Nous, formatrices, car nous avons découvert une grande équivalence entre nos objectifs et ceux proposés par le groupe : comprendre et connaitre son quartier et la Belgique, comprendre l’histoire,… Les participants, également, ont relevé les similitudes entre les deux listes d’objectifs, notamment le mot « groupe » qui apparaissait des deux côtés, ce qui souligne toute l’importance du travail collectif. Mais encore : des notions telles que « réfléchir », « apprendre », « comprendre » qui sont également fondamentales dans l’approche de nos animations.

Par cette démarche, ces consignes, ces moments « méta », les participants ont pu réfléchir et mieux comprendre ce que nous leur avons proposé lors des animations sur le quartier.

Ce que nous tenons à souligner également, c’est l’utilisation quasi systématique de verbes par les participants lors de la formulation des objectifs. Nous avons été étonnées car nous ne leur avions rien dit au départ, nous leur avions simplement demandé quel était le mot principal pour eux au sein de chaque proposition et ils ont désigné le verbe. Nous, formatrices, avons alors souligné ces verbes. Ensuite, nous avons analysé collectivement ces mots soulignés, et tous ensemble, apprenants et formatrices, sommes parvenus à la conclusion qu’il s’agissait de verbes. En effet, dans la formulation d’un objectif, le verbe est fondamental. Ce n’était pas l’objectif de la séance ; néanmoins, faire le lien entre cette découverte d’un élément linguistique et une approche globale du français dans un contexte donné nous permet de penser que cette démarche s’inscrit dans l’éducation populaire. Une approche d’éducation populaire n’est-elle pas aussi de donner, par l’intermédiaire d’une analyse fine de la langue, les moyens de mieux maitriser le français ? C’est une véritable articulation entre formation linguistique, émancipation et demande première des participants qui est d’apprendre à lire, écrire et maitriser le français.

Très souvent, les apprenants soulignent l’importance de la maitrise linguistique du français qui leur permet de changer de statut dans la société, de mieux être compris et de mieux comprendre. En d’autres termes, maitriser le français leur permet d’être des citoyens à part entière (école des enfants, CPAS, Actiris, logement,…) et ainsi de prendre une part active dans la société, de se mobiliser pour leurs propres enjeux, de les exprimer et de défendre leurs droits.

La lecture des objectifs a également mis en évidence le mot « critique ». Le groupe a rebondi en demandant des explications. Prenant la balle au bond, nous avons embrayé sur une réflexion à propos de ce mot en proposant de réfléchir collectivement à ce qu’il veut dire : faire une critique par rapport aux animations, émettre une critique, être critique, critiquer quelque chose, critiquer quelqu’un, dire qu’on n’est pas d’accord, prendre la parole.

En quoi cette démarche s’inscrit-elle dans l’éducation populaire ?

Donner les moyens aux participants de comprendre ce que le formateur propose, les intentions de celui-ci dans ses démarches relève de l’éducation populaire. Nous ne sommes pas dans une démarche de transmission mais d’analyse conjointe, de questionnement et de réflexion commune. Nous donnons aux participants une place, nous les invitons à prendre une position critique en pointant nos objectifs. En effet, lorsque les objectifs sont verbalisés et compris, ils permettent aux participants de mieux se situer. Cette prise de conscience leur donne la possibilité de se positionner et d’adhérer plus librement au projet. Et, pour nous formatrices, de pouvoir ajuster nos objectifs. Cette démarche propose un aller-retour entre participants et formateur, elle permet d’affiner les propos, les consignes et la recherche documentaire du formateur. Comme indiqué dans la plateforme du Collectif Alpha, nous défendons une relation pédagogique basée sur la mise en évidence d’un rapport « d’intelligence à intelligence », d’une volonté de reconnaissance mutuelle des ressources de chacun.


  1. Nous collaborons avec La Fonderie, www.lafonderie.be, dans le cadre d’un projet d’animations intitulé « Découverte et compréhension du quartier dans lequel on vit ».
  2. www.collectif-alpha.be/spip.php?article72