Favoriser l’apprentissage de la lecture en articulant techniques de lecture et plaisir d’entrer dans une pratique culturelle

Patrick Michel, Formateur et formateur de formateurs
au Collectif alpha

Nous l’avons écrit à maintes reprises depuis 30 ans. Pourquoi maitriser les techniques, comme par exemple, le déchiffrement des phonèmes-graphèmes1, ne suffit-il pas à devenir un bon lecteur ? Parce que seule une pratique soutenue de lecture permet d’intégrer ces acquisitions techniques, de les rendre plus rapides et plus correctes. Cette idée se retrouve ainsi au centre de « 1001 escales sur la mer des histoires »2. Si on fait appel aux neurosciences, on dira que le défi chez les personnes non scolarisées est de créer de nouvelles connexions neuronales et que seule une stimulation régulière et intensive de ces connexions permettra de les rendre efficientes3. En d’autres mots, il faut beaucoup lire pour apprendre à lire. Et pour beaucoup lire, il faut avoir envie de lire sinon ça ne marche pas !

C’est pourquoi nous expliquions dans les ouvrages cités ci-dessus combien il est important de considérer les apprenant·e·s comme destinataires d’écrit, combien il est essentiel de partir d’écrits authentiques qu’on peut retrouver en dehors du centre alpha, combien susciter l’envie et donner le gout de lire sont si indispensables lorsqu’on veut que des personnes puissent apprendre à lire. Les possibilités de travailler dans cette philosophie sont innombrables puisque nous avons la chance d’être environnés d’écrits, d’avoir de belles bibliothèques autour de nous, de pouvoir trouver, même s’il faut parfois (bien) chercher, quantités d’écrits susceptibles de rencontrer les questionnements, visions du monde, aspirations des apprenant·e·s… Il reste alors à créer des démarches de médiation entre ces écrits et les apprenant·e·s qui n’y ont pas accès sans nous. C’est tout l’objet des activités présentées, par exemple, dans « 1001 escales… ».

Créer un cercle vertueux

Dit ainsi, le chemin a l’air bien balisé, la voie semble bien tracée… Pourtant, combien d’apprenant·e·s analphabètes et non scolarisé·e·s deviennent-ils·elles vraiment lecteurs ou lectrices ? Très peu sans doute… Cela ne serait donc pas si simple finalement ?

En fait, non, c’est très compliqué ! Pour s’améliorer en lecture, il faut beaucoup lire, c’est entendu. Mais pour beaucoup lire, il faut être un minimum à l’aise en lecture sinon c’est tellement fastidieux que la personne se décourage et aura bien du mal à lire beaucoup ! Nous nous trouvons en fait devant un défi immense, renforcé par le fait que le cerveau des adultes va mettre plus de temps à installer de nouvelles connexions et donc à pouvoir identifier un message écrit avec le minimum d’efficacité et de rapidité nécessaire pour accéder au sens. Et lorsqu’en plus la maitrise du français est faible, la tâche est encore plus complexe car l’accès au sens de ce qui est lu dépend non seulement de la bonne identification du message écrit mais aussi de sa compréhension linguistique ! Tout ceci explique bien sûr pourquoi le métier de formateur·rice en alpha est si compliqué et peut mener au découragement vu les difficultés d’obtenir les résultats que l’on souhaite !

Donc, non, il n’y a pas de recette miracle et je ne vais pas vous raconter qu’il y a une approche infaillible capable de résoudre tout cela. Cependant, nous pouvons déduire des constats que nous avons développés plus haut une approche qui pourrait nous donner un maximum de chances face au défi qui se présente à nous. Enseigner les compétences techniques ne suffit pas. Mener des projets de pratique culturelle de l’écrit ne suffit pas non plus. Donc, il faut faire les deux, c’est sûr. Mais l’important, je pense, est de le faire non pas de façon parallèle mais de la façon la plus articulée possible.

Il s’agira de créer un cercle vertueux reliant l’amélioration des techniques et le transfert pédagogiquement construit de ces avancées dans la lecture d’écrits objets de désir. Si cette « mise en application » est concluante pour la personne et qu’elle arrive à lire l’écrit qui l’attire, elle en tirera du plaisir, cela ancrera ses acquis et elle sera prête pour en acquérir d’autres… et ainsi de suite.

D’accord, mais comment mettre cela en place concrètement ? Je vais vous partager deux expériences qui ont tenté de mettre en œuvre cette approche, avec des succès divers auprès des personnes qui les ont vécues, car bien sûr, nous proposons et la réalité, avec toutes ses dimensions qui nous dépassent souvent, dispose…

Un cercle littéraire avec un groupe débutant

Cela faisait deux ans, en septembre 2023, que je travaillais avec un groupe de niveau 1-2 en lecture-écriture composé de personnes analphabètes n’étant jamais allées à l’école dans leur enfance. Après ces deux années passées à tenter d’enseigner les mécanismes de la lecture à l’aide de la méthode « Du sens au signe »4 chaque personne arrivait plus ou moins à maitriser le déchiffrement de base, les syllabes simples, quelques phonèmes-graphèmes complexes… et s’était familiarisée avec des stratégies de lecture visant à découvrir le sens de ce qui était lu.

Comme cela va avoir de l’importance pour la suite, je précise que les phonèmes-graphèmes étaient ancrés à l’aide de la méthodologie des mots-modèles. Un mot et un dessin sont choisis pour chaque correspondance phonème-graphème complexe (exemple « roi » pour « oi », « bateau » pour « eau », « bien pour « ien » etc…). Les mots-modèles sont les mêmes pour tout le centre d’alphabétisation. Ainsi les apprenant·e·s les retrouvent en passant d’un groupe à l’autre. Ils sont accompagnés d’une série d’outils et d’activités5. Pourtant, dès que les personnes quittaient ces textes « de référence », malaxés en tous sens dans le groupe, elles semblaient tout à coup fort démunies, donnaient l’impression d’avoir « égaré leurs compétences » et éprouvaient donc beaucoup de difficultés à transférer leurs acquis face à un nouvel écrit. Il était temps d’essayer de franchir un palier et, pour cela, d’organiser pédagogiquement la nécessité de réaliser ces transferts.

Une fois par semaine, nous organisions un atelier individualisé où chacun pouvait choisir son activité : lire son carnet, retravailler avec ses étiquettes mots6 ou syllabes, ses cartons phonème-graphèmes, écrire de nouvelles phrases avec ses enveloppes, jouer à un jeu pédagogique, etc… 7 C’est un dispositif très intéressant mais il reste axé sur les écrits déjà connus par les personnes. Ici, nous voulions les confronter à de nouveaux écrits, authentiques, qui pourraient leur plaire au point d’arriver à mobiliser leurs acquis pour les comprendre. Nous avons donc transformé l’atelier individualisé en un « cercle littéraire ». Notre bibliothèque interne est riche d’albums courts au texte simple, dont la difficulté de lecture correspond bien au niveau des personnes de notre groupe et il y a là de belles richesses à exploiter pour mettre sur pied notre approche « articulée ».

Mise en bouche : l’activité « Titres cachés »

Pour débuter l’atelier et favoriser les choix de chacun, nous avons mené l’activité « Titres cachés »8. Le plaisir était au rendez-vous, cette activité a beaucoup amusé le groupe. Elle a permis aux personnes de sa familiariser en une séance avec une vingtaine de livres et de poser un premier choix de livre qui correspondait à leurs intérêts et à leur niveau de lecture.

L’idée est d’abord de mettre en appétit, de susciter une envie, de trouver des réponses à des questions qu’on se pose sur un livre, où tout se passe dans une atmosphère ludique d’émulation et de confrontation collective. Par exemple, lorsque chacun voit les livres dont le titre est caché, tout le monde a envie d’enlever le bandeau, mais « Non, on ne peut pas toucher les livres », la frustration qui entraine le désir… « Avant ça, tirez au sort un carton et dites-moi, à votre avis, ça pourrait être quoi l’histoire d’un livre avec un titre pareil ? » Et chacun y a va de ses hypothèses qu’il aimerait bien vérifier… Voilà la dynamique du désir de lire lancée ! Chacun, mis en appétit, va vouloir lire son livre pour découvrir si l’histoire raconte bien ce qu’il avait imaginé.

Une démarche en trois étapes

Ensuite les séances se sont déroulées suivant une démarche en trois étapes :

D’abord, chaque personne essaye de lire son livre, seul. Après un premier temps de lecture découverte, elle est invitée à rechercher dans son livre des mots contenant les phonèmes-graphèmes des mots-modèles déjà vus et censés connus et d’écrire ces mots sur un tableau conçu à cet effet. Voici un exemple :

Sur le plan pratique, le fait de rechercher les mots avec les graphèmes des mots-modèles permet aux personnes de ne pas tout le temps lire le livre et de ne pas rester bloquées en attendant le passage du formateur ou de la formatrice.

Après un certain temps, nous passons entre les tables et consacrons un temps d’une dizaine à une quinzaine de minutes pour que chaque personne puisse nous lire son livre, solliciter notre aide, expliquer ce qu’elle a compris de l’histoire… Lorsqu’elle n’arrive pas à identifier un mot, nous lui demandons de regarder dans son tableau s’il s’agit d’un mot comprenant un graphème complexe déjà vu. Cela peut l’aider car un graphème peut très bien ne pas être identifié dans le texte mais l’être s’il se trouve dans le tableau en regard du mot-modèle. A force de recourir à cet outil des graphèmes et des mots-modèles, la personne va petit à petit renforcer ses compétences d’identification et automatiser ses procédures de déchiffrement dans le texte sans devoir recourir au tableau. Cela passe souvent par une phase intermédiaire où la personne doit encore passer par une phase explicite de déchiffrement mais reconnait les graphèmes mentalement sans devoir consulter son tableau : « ah oui, c’est ‘on’ » comme bonbon, donc c’est ‘salon’ ».

Nous voyons bien ici l’articulation entre le renforcement des compétences techniques et l’investissement dans une pratique culturelle de l’écrit qui sous-tend la mobilisation de l’activité de lecture.

Pour encourager cette pratique culturelle, le troisième temps de la démarche est très important : il s’agit de la présentation au groupe du livre lu. Trois quart d’heure avant la fin de l’atelier, les personnes qui ont terminé leur livre sont invitées à le présenter aux autres, sans le lire. On installe un petit décorum, une belle chaise est placée face au groupe et une personne vient parler de son livre, le feuillète pour montrer les illustrations, raconte ce qu’elle a compris de l’histoire et spontanément chacun applaudit. Rapidement cette étape est devenue un moment fort attendu de tous. Chacun sait que son tour viendra et le groupe y veille. Le stress est là mais ensuite vient la fierté d’y être arrivé. Au fil des séances, les présentations se font plus raffinées, certains ménagent leurs effets, font deviner au groupe des éléments de l’histoire en montrant les illustrations avant de raconter, etc… cela devient un bon moment de l’atelier et qui montre sa pertinence car la plupart du temps des personnes choisissent un livre présenté pour le lire à leur tour…

Le partage des lectures pour susciter le désir chez les autres est un élément central dans la naissance des pratiques culturelles de lecture. Comme chacun sait, lorsque nous, lecteur ou lectrice, lisons un livre, c’est souvent parce que quelqu’un nous en a parlé, un critique éventuellement, plus souvent un proche en qui on a confiance, en qui on se reconnait, qui nous a communiqué son enthousiasme. La lecture c’est un acte solitaire mais qui naît dans un contexte social9. Or les personnes non-lectrices fréquentent le plus souvent d’autres personnes non-lectrices et ne lisent pas les critiques de livres… Comment espérer que naisse une pratique culturelle de lecture dans ces conditions ? La seule voie possible avec un public non-lecteur est de tenter de créer pédagogiquement les conditions d’un partage des plaisirs et des enthousiasmes de lecture.

Autour du livre « Monsieur André » avec un groupe un peu plus fort

Toujours pour mettre en évidence l’importance de l’articulation entre compétences techniques et pratique culturelle, je vais vous raconter une autre démarche, celle vécue, de septembre 2020 à juin 2022, avec un groupe de niveau 2-3 en lecture autour de la lecture d’un livre de la Traversée « Monsieur André ». Ici les compétences techniques ne vont plus porter sur les mécanismes d’identification des mots mais sur les stratégies à mettre en œuvre pour accéder au sens du texte lu.

« Monsieur André » est un roman de la collection « La Traversée » de Lire et Écrire/Weyrich10 écrit par Geneviève Damas et publié en 2017. C’est l’histoire d’un homme dans la soixantaine qui, suite au décès de sa femme, quitte le Brabant wallon et vient s’installer à Schaerbeek où il va faire connaissance de ses voisin·e·s et vivre de nombreuses aventures avec eux·elles. Le livre est constitué de courts chapitres de deux à trois pages. Il est construit autour d’une petite dizaine de personnages différents qu’on retrouve alternativement au fil des chapitres. Au cœur de chaque chapitre, il y a de nombreuses inférences11 à faire car tout n’est pas dit directement ni de façon linéaire. Parfois une situation n’est comprise que par un faisceau d’indices qu’il faut relier entre eux. Comme tous les livres de la Traversée, le livre évite d’utiliser un vocabulaire compliqué et des tournures non usuelles mais, de par sa construction, sa lecture comporte des défis riches et stimulants au niveau des stratégies de construction du sens.

Par ailleurs, au niveau du contenu, je faisais le pari que le livre allait beaucoup intéresser les personnes du groupe et susciter leur désir de le lire car elles pourraient s’identifier à de nombreux personnages et situations… Plusieurs éléments du livre leur seraient familiers car ils sont proches de leur vie12. De plus, la possibilité annoncée, dès le début, de pouvoir rencontrer l’autrice du livre augmentait encore leur curiosité et pimentait régulièrement la lecture.

Cependant, pour que le plaisir de la lecture soit au rendez-vous, il fallait que le groupe maitrise une série de compétences nécessaires pour accéder au sens du texte lu. Pour cela il est toujours nécessaire pour le ou la formateur·rice de bien évaluer ce que chacun maitrise ou non dans les multiples compétences à mettre en œuvre. Dans ce groupe, les techniques de déchiffrement étaient globalement acquises. En revanche, de nombreuses stratégies de compréhension n’étaient pas maitrisées, telles les stratégies d’inférence.

J’ai donc tenté de développer une approche qui articule des activités plus centrées sur une pratique culturelle de l’écrit (chacun a reçu un exemplaire du livre qu’il ramenait à la maison, de nombreuses discussions ont surgi dans le groupe sur les comportements des personnages, ce qui donnait lieu à des confrontations de points de vue, des retours au texte, etc…) avec des activités plus centrées sur une amélioration des techniques de compréhension à la lecture.

Quelques activités pour développer des stratégies d’inférence

Une des difficultés dans la lecture d’un texte est que, bien souvent, tout n’est pas dit explicitement. Pour se créer une image mentale correcte, nous devons souvent inférer, c’est-à-dire déduire des informations à partir d’indices ou à partir du contexte. Par exemple, un personnage ne va pas être toujours appelé par son nom. Pour alléger le texte, des pronoms seront utilisés. Et là, il faut inférer la personne ou la chose désignée par ce pronom et souvent c’est difficile pour les apprenants, principalement pour les pronoms compléments (le, te…) ou certains pronoms moins usités (celui-ci, celui-là…). Même un simple « il » peut être très compliqué à comprendre. Parfois il renvoie à la dernière personne dont on a parlé, parfois à une autre, selon le sens du texte. Cela demande un travail assez complexe au niveau des indices pour se créer la bonne image mentale. « Voir » la bonne personne ou la bonne chose désignée par le pronom est évidemment essentiel pour la bonne compréhension du texte.

Pour ancrer cette stratégie de création d’image mentale à partir des pronoms, nous proposions souvent des exercices où ils devaient trouver qui ou quoi désignait le pronom.

Voici un exemple :

Un autre type d’inférence concerne les multiples termes utilisés pour désigner un même personnage. Souvent les apprenant·e·s pensent qu’il s’agit de personnes différentes là où il ne faut en voir qu’une seule.

Par exemple, dans le livre, il y a un jeune qui s’appelle Ibrahim. Je me suis rendu compte que beaucoup de personnes du groupe étaient perdues face aux différentes façons de le nommer et ne comprenaient du coup pas bien le chapitre. Je leur ai donc dit qu’il y avait cinq mots qui voulaient tous dire « Ibrahim » et leur ai demandé de les surligner. Ainsi derrière « Ibrahim », « le gamin à casquette rouge », le « jeune », « le chef de la bande », « Petit ! »
il faut voir dans sa tête la même et unique personne !

Autre type d’inférence encore : dans le livre il y a régulièrement des dialogues, où chaque réplique est précédée par un tiret et parfois suivie d’une indication du genre « dit-il », « demande-t-elle » etc… Pour se faire une bonne image mentale, il est indispensable de « voir dans sa tête » quelle personne parle. Pour favoriser cette stratégie, je proposais des exercices où il fallait mettre à côté de chaque réplique le nom du locuteur. Cela demandait souvent de bien prendre en compte des indices de contexte, en traitant bien les liens avec des informations déjà données.

Voici un exemple :

Accéder au sens par la confrontation des points de vue

Toutes ces activités donnaient lieu bien sûr à des mises en commun et des confrontations de points de vue car en général les désaccords étaient nombreux. Cela nécessitait souvent de retourner dans le livre, d’argumenter à partir des éléments du chapitre concerné. Cela permettait à chacun d’accéder au sens du texte, ce qui suscitait de la satisfaction et aussi déclenchait de nombreuses discussions portant sur le contenu, car il était enfin bien compris. Et comme le livre était proche des réalités vécues par les personnes du groupe, il entrainait souvent des témoignages sur des situations proches et des débats sur des sujets comme le harcèlement à l’école, les relations parents-enfants, le décrochage scolaire, le racisme…13

Par exemple, quand Monsieur André expliquait qu’il n’avait pas les mêmes valeurs que sa sœur, une discussion s’est engagée sur la question des valeurs. D’abord ils ne comprenaient pas ce mot car ils l’associaient au prix de quelque chose « la valeur d’une voiture, d’un bijou… ». Ils ne comprenaient pas non plus que la sœur de Monsieur André avait honte de lui et que ce n’était pas le contraire. Ensuite, chacun s’est exprimé sur des valeurs importantes pour lui et se sentait plutôt proche de Monsieur André.

À travers ces différents exemples, on voit combien l’articulation fine entre l’amélioration des compétences et stratégies de lecture et l’installation d’une pratique culturelle où l’écrit parle à la personne est fondamentale. L’un ne peut pas aller sans l’autre.

Une rencontre extraordinaire avec l’autrice

Pour couronner cette démarche, la rencontre avec Geneviève Damas a été un moment extraordinaire pour le groupe. Nous avions préparé une exposition « sur les traces de Monsieur André » avec des photos prises à Schaerbeek et à Woluwe Saint-Pierre sur base d’indices présents dans le livre. Chaque personne avait écrit un petit texte sur son personnage préféré et sur les raisons pour lesquelles il·elle aimait le livre et, bien sûr, des questions avaient été préparées dont beaucoup portaient sur le caractère vrai ou inventé de l’histoire. En effet, durant les deux années, la plupart des apprenants pensaient que l’histoire et les personnages étaient réels. « Oui c’est sûr, Monsieur André existe vraiment ». Chaque fois, la conclusion de l’un ou l’autre était : « on va demander à Geneviève Damas quand elle viendra ».

Lors de la rencontre, Geneviève Damas a été époustouflée que le groupe ait trouvé la maison de Monsieur André reproduite sur la couverture simplement en suivant les indices du livre. Elle a été très touchée par les choix des personnages préférés de chacun et les explications que chacun donnait sur son choix. Elle était très étonnée aussi de toutes les questions liées au caractère vrai ou inventé de l’histoire comme par exemple : « L’histoire d’Ibrahim qui vole le sac, c’est vrai ou inventé ? Est-ce que c’est vrai que son père est en prison ? » « Est-ce que vous connaissez bien Monsieur André ? » « En quelle année Monique, la femme de Monsieur André, est décédée ? »

L’autrice a alors expliqué que tous les personnages étaient inventés mais qu’ils étaient tous inspirés de vraies personnes qu’elle a rencontrées et souvent bien connues. Ses réponses détaillées ont permis à chacun de comprendre la « mécanique » de création d’un roman réaliste au point qu’Ahmed a conclu en disant : « Oh, mais alors nous aussi, avec notre vie, on pourrait écrire un roman ! » Bel exemple d’appropriation d’une pratique culturelle, pas vrai ?

En conclusion

Les deux démarches que je vous ai expliquées ont, toutes les deux, essayé à leur façon de créer un cercle vertueux articulant l’amélioration des techniques de lecture et le plaisir d’entrer dans une pratique culturelle de l’écrit.

Par cette dynamique d’articulation entre des écrits suscitant l’envie de lire et le recours à des activités améliorant les stratégies pour arriver à comprendre les écrits choisis, nous pouvons dire
que les conditions sont créées pour favoriser l’acquisition d’une vraie maitrise de la lecture. Mais, bien sûr, les vents contraires ne manquent pas, rien n’est jamais acquis et tout est à remettre constamment sur le métier !

Laissons la conclusion finale à Naïma : « Monsieur André, c’est le premier livre que j’arrive à lire. Avant, je commençais un livre mais après quelques lignes j’arrêtais parce que je ne comprenais pas. Avec Monsieur André, je comprends. C’est la première fois que je lis vraiment un livre et j’aime ça ! »


  1. Les phonèmes sont tous les sons de la langue française et les graphèmes sont la façon de les représenter par écrit. Une des complexités du français écrit est qu’il peut y avoir plusieurs graphèmes pour transcrire un phonème (exemple eau, au et o pour le phonème «o») ou plusieurs phonèmes transcrits par un même graphème (exemple le graphème g qui peut correspondre aux phonèmes «j» ou gu»…).
  2. Patrick MICHEL, 1001 escales sur la mer des histoires, 52 démarches pour apprendre (et aimer) les livres, Éditions Collectif Alpha, 2003, https://www.collectif-alpha.be/spip.php?article83.
  3. Voir : Patrick MICHEL et Marie FONTAINE, Prérequis à la lecture, Orientation dans l’espace et organisation du tout en parties, Collection « 1001 idées pour enrichir sa pratique en alphabétisation », Éditions du Collectif Alpha, 2017, pages 30 et suivantes, https://www.cdoc-alpha.be/GED_BIZ/192821391000/Prerequis_a_la_lecture.pdf.
  4. Patrick MICHEL et Nathalie DE WOLF, Du sens au signe, du signe au sens, Une méthode intégrative pour apprendre à lire et devenir lecteur à l’âge adulte, Éditions du Collectif Alpha, 2013, https://www.collectif-alpha.be/spip.php?article283.
  5. Voir : « La construction du système grapho-phonétique », in Du sens au signe, op. cit., p. 149 et suivantes.
  6. Dans la méthode « Du sens au signe… », les apprenant·e·s ont une boîte avec entre autres les cartons-mots et les cartons-syllabes des textes de référence (comme dans la Méthode Naturelle de Lecture Écriture, la « MNLE » dont « Du sens au signe » s’inspire).
  7. Ibidem, p. 212 et suivantes.
  8. Voir :  1001 escales sur la mer des histoires, op. cit., p. 32.
  9. Ibidem, p. 189-191.
  10. Voir : https://lire-et-ecrire.be/latraversee.
  11. Pour une explication plus détaillée du terme « inférence », voir la partie suivante
    de l’article.
  12. Ibidem, p. 59-61.
  13. Ibidem, p. 55 à 57 et p. 59-61.