Depuis 2021, le collectif Le français pour tou·te·s1 – qui défend un droit inconditionnel d’accès à la langue française – mène une recherche-action nationale mobilisant des apprenant·e·s2 adultes auprès de leurs accompagnateur·rice·s, et visant à améliorer ensemble l’accès à l’apprentissage du français, localement et nationalement. Nous rendrons compte ici de cette démarche d’analyse réflexive et de ses implications, et l’illustrerons par quelques exemples concrets : de quelles façons les apprenants ont-ils été mobilisés et ont-ils joué différents rôles ? Quels changements en ont résulté pour les accompagnateurs et les associations ? Quels sont les enjeux de ces retours pour les associations ?

Une recherche-action sous forme d’analyse réflexive collective pour améliorer l’accès à l’apprentissage du français

Eric Mercier, chercheur-animateur pour le RADyA et le collectif Le français pour tous, également chercheur associé, équipe 4428 DYNADIV, Université de Tours

Un projet à deux dimensions : locale et nationale

En deux années, nous avons réalisé 21 entretiens enregistrés dans sept villes de France (Lingolsheim, Montpellier, Paris, Rochefort, Chambéry, Marseille, Tours) auprès d’environ 140 apprenant·e·s3 volontaires. Les participants (accompagnants et apprenants) ont à chaque fois été invités à réfléchir aux problèmes d’accès au français les plus fréquemment soulevés. Sept projets locaux originaux ont vu le jour, ainsi que trois projets nationaux nourris de nos différentes réflexions4. L’équipe de coordination a assuré un suivi des groupes locaux, et les discussions collectives se sont matérialisées lors de comités de suivi (bimestriels, en visioconférence) et de deux rencontres en présentiel.

Deux modalités complémentaires pour comprendre et agir

Si l’ambition principale de la recherche-action était au départ de donner la priorité au développement du pouvoir d’agir et à la réflexion collective5, en deux ans notre projet a finalement coconstruit un véritable système de mobilisation d’apprenants qui a permis des transformations concrètes pour les associations impliquées.

Deux modalités principales et complémentaires, que les différentes associations participantes ont chacune mises en place à leur rythme et à leur façon, ont permis cette coconstruction :

  • Mobilisation d’apprenant·e·s lors d’entretiens, afin de leur ouvrir des espaces d’expression sur leur propre accès à l’apprentissage du français (que ce soit dans ses aspects politiques, formatifs ou personnels).
  • Réflexion puis développement collectif de solutions aux problèmes soulevés localement et nationalement. Chaque participant·e pouvait proposer des solutions originales à ces différents problèmes dès l’entretien en cours, puis en s’impliquant dans la mise en place de ces solutions. Ces dernières pouvaient se traduire de très diverses façons : par de nouveaux projets associatifs, de nouveaux ateliers ou de nouvelles formations, ou encore à travers des initiatives inédites et originales pour alerter des décideurs politiques des difficultés d’accès à l’apprentissage du français.

Ces deux actions principales ont été répétées sous différentes formes pour poursuivre et renouveler la dynamique d’implication et de transformation.

Une perspective réflexive collective et globale

Notre recherche-action engage ses participants dans une dynamique réflexive assumée, soit « nous laisser emmener, bousculer, par ce que les apprenants pourraient nous apprendre, et par ce qu’ils pourraient nous proposer de faire ensemble, pour faire changer les choses »6.

En contexte francophone, les occasions d’être confronté au français oral ou écrit sont multiples. Dans le cas de personnes migrantes, ces apprentissages dépendent très fortement de la vie quotidienne7 : certaines personnes apprennent d’abord (tout au moins à parler) hors formation, et d’autres à l’inverse progressent lentement malgré une formation intensive (faute d’une pratique et d’une socialisation satisfaisante par exemple). Viser à mieux comprendre de tels parcours d’apprentissages ne peut donc pas se cantonner à s’intéresser aux formations linguistiques. Nous parlons donc ici d’une réflexivité collective et globale : il ne s’agit pas seulement d’une opportunité pour chaque formateur·rice d’avoir des retours sur ses formations en vue de s’adapter (le praticien réflexif dont fait état Philippe Perrenoud8 par exemple), mais bien de nous intéresser à tout ce qui peut faciliter ou bien freiner les apprentissages, en formation ou en dehors, en prenant en compte les histoires de vie des premiers intéressés. Cette réflexivité tire son origine du processus de recherche, invitant les participants à revenir sur eux-mêmes9, sur leurs propres motivations (pourquoi j’apprends/j’enseigne le français ?), dans une dynamique collective où l’on se confronte volontairement aux autres pour s’ouvrir à d’autres points de vue et de nouvelles perspectives10.

Notre problématique11 était ainsi axée autour de trois questions principales développées lors des entretiens :

  • Comment et pourquoi apprenez-vous à communiquer en français (en formation et ailleurs) ?
  • Comment percevez-vous les accompagnements ?
  • Quelles propositions faisons-nous ensemble pour changer des choses ?

Ces trois questions principales se déclinaient en un grand nombre de propositions dans lesquelles chaque enquêteur·rice12 pouvait puiser pour préparer des entretiens.

Une technique d’entretien originale

Pour répondre à nos objectifs de mieux comprendre et à la fois de permettre une participation des apprenant·e·s à la recherche-action, nous avons développé une technique d’entretien originale, inspirée à la fois de l’entretien compréhensif et des pédagogies critiques13.

L’entretien compréhensif, issu de la sociologie et développé par Jean-Claude Kaufmann14, est une méthode alternative à des entretiens dirigés qui vise à assurer une parole libre, pour s’intéresser aux personnes dans leur globalité : leurs histoires, leurs situations, leurs expériences et représentations, leurs projets… Un entretien compréhensif, cela ressemble à une discussion impliquée, avec un·e enquêteur·rice attentif·ve, qui invite à se raconter sans pour autant être intrusif·ve. Cet intérêt porté aux personnes et à leur vécu permet de contextualiser leurs propos, par exemple pour apprécier les raisons de leurs préférences didactiques (« je préfèrerais apprendre de cette façon, parce que j’ai vite appris une autre langue de cette façon »). Dans cette optique, les présentations multilingues de la recherche-action ont été cruciales afin que les volontaires soient très précisément informés des objectifs de cette démarche invitant à aborder sa vie personnelle.

L’apport des pédagogies critiques ajoute à ces entretiens plusieurs éléments visant à favoriser l’implication : l’écoute d’extraits d’autres entretiens réalisés (pour amener à des prises de position) ; l’invitation à réfléchir aux problématiques qui viennent d’être soulignées (propositions de lois, propositions de projets) ; l’invitation à une participation à plus long terme (mise en œuvre des projets, réunions…).

Afin d’ouvrir des espaces de parole libre auprès de personnes dont le français n’est pas la langue première, nous avons réalisé une vingtaine de présentations multilingues (écrites, audios, vidéos) en faisant appel à des traductions automatiques, puis à des locuteurs de ces langues. Ces présentations explicitaient notre démarche et invitaient à participer à un premier entretien collectif ou individuel. Des interprètes amateurs et professionnels ont également pris part à plusieurs entretiens pour faciliter les échanges.

Accueil d’une association et organisation des entretiens

Chaque association qui nous a rejoints a dû obtenir l’autorisation de son conseil d’administration, puis s’engager en signant notre charte. À partir de là, le chercheur-animateur a collecté toutes les informations utiles pour pouvoir présenter la démarche aux groupes-cibles : quels sont leurs niveaux de français, sont-ils lecteurs-scripteurs dans leurs langues, quelles langues parlent-ils… ? S’en est suivi la présentation de la démarche aux groupes, à l’aide de nos présentations multilingues. Les volontaires ont fixé une date d’entretien et ont fait état de leurs choix (entretien individuel ou collectif/interprétariat).

Le jour retenu, deux, trois ou quatre entretiens (individuels et collectifs) pouvaient s’enchainer, comprenant de deux à 70 participants simultanément selon les contextes – nous avons d’abord privilégié la constitution de petits groupes, mais avons parfois dû nous adapter à des participations plus massives.

Une fois les entretiens réalisés, des premiers retours ont été faits à l’association. Selon les associations, différents participants ont alors décidé de mettre en œuvre des projets en réponse à certaines problématiques : des coordinatrices, formateur·rice·s, et deux participant·e·s apprenant·e·s (à Lingolsheim et à Niort). S’en est suivi l’écoute complète et la transcription partielle de l’enregistrement15, puis son découpage en autant d’extraits (audios et écrits). Ces extraits ont ensuite été triés par problématiques (pour identifier celles qui revenaient le plus et nous ouvrir à de nouvelles), puis progressivement partagés collectivement (fil de discussions/ateliers thématiques/nouveaux entretiens).

Plusieurs niveaux d’analyse réflexive

Notre recherche-action a permis la mise en œuvre de différents niveaux d’analyse réflexive par les participants, niveaux qui se sont nourris mutuellement. Les réflexions commençaient localement, puis pouvaient se poursuivre à travers la mise en place de projets locaux ou bien nationaux.

Au niveau local

Premièrement, au niveau local, suite à un entretien mené, des premiers retours ont été faits aux accompagnateur·rice·s par le chercheur-animateur qui a synthétisé les problématiques qui étaient revenues le plus fréquemment. Ces retours visaient principalement les accompagnements de façon globale (offre d’accompagnement, modalités formatives/problématiques locales et nationales), ainsi que les postures pédagogiques et les modalités didactiques courantes en FLE/alphabétisation. Les entretiens ont souvent permis de mettre en lumière une diversité de difficultés, de besoins et de rapports, parfois opposés entre eux, auxquels il s’est alors agi de réfléchir. Les accompagnateurs ont pu lire les transcriptions d’entretiens, afin d’accéder aux attentes individuelles et à de nouveaux éléments de compréhension des participants. Contrairement à une crainte qui avait émergé dans certaines structures, les retours des participants ont rarement visé directement un·e formateur·rice ou une séquence de classe (auxquels cas, ces retours étaient faits en individuel).

Entretiens et projets se sont articulés de façons très différentes d’un lieu à l’autre : certaines associations ont ainsi vécu des évolutions très rapides, et pour d’autres, les changements se sont produits sur des temps plus longs.

Prenons un premier exemple, à Lingolsheim, au centre social et culturel L’Albatros. Une participante apprenante (Rose) avait directement proposé deux projets en réponse à une problématique largement abordée par les participants lors de l’entretien : le besoin de tisser des liens avec des francophones, pour pratiquer hors formation comme pour favoriser la rencontre, et éviter les découragements.

Le premier projet de Rose a été précisé puis mis en place très rapidement (en collaboration avec Mia, coordinatrice salariée). L’idée de départ était de créer des parrainages entre habitants. Pour assurer une dimension collective, le projet a pris la forme d’ateliers de rencontres interculturelles entre habitants du quartier, portant sur un programme d’activités visant la découverte des cultures en présence (France/Alsace/Turquie). Le premier entretien a alors directement impulsé l’intégration de Rose au conseil d’administration de L’Albatros, puis sa participation active à nos côtés. Rose est également l’initiatrice de la tribune des apprenants.

C’est l’inverse qui s’est produit à Paris, au centre d’entraide du Cèdre, où un long temps de réflexions et de discussions a été nécessaire avant que les problématiques et propositions ne soient prises en considération. Cinq apprenant·e·s originaires du Bangladesh16 ont souligné le décrochage et la déperdition de nombreux grands débutants, faute de parvenir à comprendre le formateur lors des premières sessions.

En réponse à ce problème, un projet a directement été proposé par ce même participant et approuvé par le groupe : faire venir régulièrement des interprètes pour permettre une vraie discussion avec le formateur et faire un point en début de certains cours. Le projet a ensuite été présenté par Hélène (coordinatrice salariée) aux formateur·rice·s bénévoles qui s’y sont d’abord opposé·e·s, une seule personne acceptant de se prêter à l’expérimentation. Ainsi, les témoignages argumentés et étayés des participants n’ont d’abord pas suffi à bousculer les pratiques. S’en est suivi un long travail d’ouverture d’espaces de discussions entre apprenant·e·s et formateur·rice·s, de retours sur les premières expérimentations, pour que les enjeux de ces revendications soient compris. Un an plus tard, une majorité des formateurs acceptaient de s’ouvrir aux possibilités réflexives offertes par la venue régulière d’interprètes.

Dernier exemple, à Montpellier à l’association Tin Hinan. Trois entretiens ont d’abord été réalisés auprès d’environ 40 apprenantes qui, de façon massive, ont soulevé plusieurs problématiques locales : l’absence de mixité dans le quartier (à majorité arabophone), l’insuffisance des seules formations, le manque d’opportunités de pratiquer le français et ses conséquences (oubli, sentiment de stagner, difficulté à s’exprimer à l’oral, difficulté d’accès à un travail et sentiment de non-participation sociale) et, en conséquence, une forte demande d’ateliers de conversation.

Si les problèmes soulevés étaient déjà en partie connus de Maèva, coordinatrice salariée, les entretiens ont permis d’en saisir toute la mesure, ainsi que l’impossibilité d’y répondre par le seul biais des accompagnements déjà en place. En réponse, Maèva a progressivement développé un projet original : des ateliers de conversation faisant appel à des étudiant·e·s de Montpellier17. Ces dernier·ère·s viennent à chaque session à la rencontre des apprenantes pour discuter librement sur des thématiques diverses. La mobilisation s’est poursuivie à l’occasion d’une fête annuelle interassociative par la mise en place d’un débat avec une soixantaine d’apprenantes et accompagnateur·rice·s. Plusieurs petits groupes de travail ont ainsi discuté à partir d’extraits choisis, puis ont poursuivi le débat lors d’une restitution en grand groupe. Cette large mobilisation a à la fois contribué à la formation des formateur·rice·s présent·e·s, au développement de la dynamique de fédération collective, et à la formulation de nouvelles attentes et de pistes de projets à développer au niveau local. Ce type de mobilisation à grande échelle a également été mené à Rochefort, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés 202318. Les nombreux retours positifs sur ces ateliers ont montré que des espaces de réflexivité collective pouvaient se révéler pertinents et fédérateurs lors de grands rassemblements.

Au niveau national

Au niveau national cette fois, la réflexivité s’est faite au gré du partage d’extraits d’entretiens et du partage des avancées de chaque association. C’est alors l’accumulation de certaines problématiques au fil des entretiens qui a amené à leur prise en considération.

Certains changements importants ont ainsi vu le jour dès les premiers entretiens. Au début de la recherche-action, les associations initiatrices avaient d’abord visé à « analyser ensemble les difficultés d’accès aux formations linguistiques » (note d’intention de la recherche-action). Or, les premiers entretiens réalisés ont directement fait apparaitre une préoccupation majeure liée à l’apprentissage que nous n’avions pas prévue : l’accès au travail. Celui-ci est actuellement en France fortement conditionné par l’exigence de diplômes de français – alors que travailler peut constituer une opportunité de réaliser de premiers apprentissages sur le tas, de pratiquer le français en contexte, de participer à (et se sentir faire partie de) la société d’accueil.

Cette ouverture vers les espaces d’apprentissages informels, validée collectivement, a d’emblée confirmé l’intérêt du recours aux entretiens compréhensifs, qui ont incité à la réflexivité en nous ouvrant à des problématiques souvent peu prises en compte dans le cadre formatif. Ces problématiques ont elles-mêmes débouché sur différents projets complémentaires aux formations existantes, avec des visées et une liberté laissées aux participants que ne permettent pas les formations linguistiques (espaces de rencontre entre habitants, discussions libres, prises d’initiatives et de créations de projets…).

La réflexivité entre participant·e·s apprenant·e·s a été encore davantage mise à l’épreuve à l’occasion d’un de nos projets nationaux : la réalisation d’une tribune des apprenants, développée par trois apprenant·e·s de Lingolsheim, de Tours et de Niort. Cette tribune a constitué en soi un exercice réflexif sur un an, consistant à exprimer, mais aussi à se mettre d’accord sur des revendications qui conviennent à une diversité de besoins. De la même façon que pour les accompagnateur·rice·s, il ne pouvait plus s’agir de revendiquer de « bonnes pratiques » – qui mettraient encore de côté une partie des apprenants qui ne s’y retrouvent pas – mais bien de développer des revendications qui permettent de faire une place à leur diversité et à celle des apprentissages. Nous souhaitions faire de cette tribune, à son tour, un outil réflexif et de mobilisation qui permette d’alerter, d’interroger, de susciter le débat et la réflexion entre apprenants et formateurs de toute la France.

D’autres expériences ont été menées et seront présentées dans notre rapport final, à paraitre courant 2024.

Une approche réflexive globale : quels enjeux ?

Que l’on pense à différents profils de personnes adultes en formation en France (des étudiants de master par exemple) : de nombreux dispositifs réflexifs sont mis en place pour que ces personnes puissent faire des retours sur les formations et proposer des améliorations. Ces retours peuvent se répercuter sur les formateurs, mais aussi générer des changements sur l’ensemble des prestations (offre de formation, contenus, modalités…). Si de telles dispositions apparaissent banales dans le cadre d’études universitaires, leur développement en faveur de l’accompagnement d’apprenants adultes migrants tient à des enjeux bien spécifiques que la recherche-action a permis de souligner. Ainsi, de nombreux participants se sont emparés des entretiens pour exprimer ce qu’ils pouvaient difficilement dire autrement et qui leur apparaissait décisif. Cette forte implication souligne d’abord que cette réflexivité est d’autant plus importante que l’enjeu des apprentissages touche ici aux projets de vie des intéressés.

C’est également une compréhension reconsidérée des apprenants et de certains problèmes qu’ils rencontrent qui constitue un des enjeux essentiels de notre démarche pour le développement des associations, ainsi que pour la formation (de base/continue) des formateurs. Sans s’intéresser aux apprenants de façon plus qualitative, les formations linguistiques :

  • Ne permettent généralement pas de prendre conscience de ce qui, hors formation, empêche la formation d’être pertinente pour certains. Comprendre pourquoi une personne stagne en formation peut amener à chercher d’autres solutions qui lui permettent ensuite de mieux tirer parti des formations.
  • Risquent de mettre de côté une partie des apprenants qui ne peuvent s’accommoder de l’existant. La présence d’attentes opposées, parfois mouvantes au niveau local, implique, pour s’y adapter, de ne plus rechercher des pratiques formatives plus efficaces que d’autres pour des « publics » prédéfinis, mais bien de s’adapter en diversifiant et individualisant les accompagnements et leurs modalités.
  • Peuvent facilement masquer les rapports de pouvoir qui s’y jouent. Exemple : interdire la présence d’autres langues que le français comme « bonne pratique » d’enseignement19 désigne aux yeux des premiers concernés une unique bonne façon d’apprendre, qui leur devient alors difficile de discuter.

Considérer ces différents enjeux pourrait avoir des implications particulièrement importantes, faisant de la réflexivité la base même de l’accueil et des accompagnements, et un moteur de l’implication des apprenant·e·s à y prendre part. Démocratiser cette démarche impliquerait un bouleversement des logiques engagées par l’État français20, des formations linguistiques obligatoires standardisées constituant la réponse quasi exclusive apportée à l’accompagnement des nouveaux arrivants.

Et pour terminer, quelques retours de participants

« [À travers la recherche-action,] certaines demandes ont pu être faites explicitement. Il était dès lors indispensable de faire des propositions pour y répondre. Au-delà même de la prise en compte des paroles [des apprenants], j’ai appris à les inclure dans les échanges et les réflexions au même titre que les autres acteurs de l’apprentissage du français. (…) Cette expérience m’a beaucoup interrogée sur la place à accorder aux attentes [de forme scolaire] qui découlent des représentations de la langue et de son apprentissage. » (Maèva Lesourd, coordinatrice, Montpellier, association Tin Hinan)

« (…) j’ai eu l’espace pour m’exprimer et faire entendre ma voix, j’ai eu l’occasion de jouer plusieurs rôles – apprenant, animateur et formateur. Ainsi partir à la rencontre des nouveaux arrivants (bénévoles, formateurs, apprenants) pour les mobiliser et leur parler de la recherche-action. (…) J’ai pu constater qu’il y a un écart entre ce que propose l’État pour l’intégration et ce que savent les personnes concernées. » (Salah Issah, bénévole et apprenant, Niort, association Coraplis)

« J’ai appris qu’il faut du temps pour changer des pratiques mais que petit à petit cela peut se faire. (…) Que la combinaison professionnels et bénévoles est un avantage dans un parcours d’apprentissage du français. Qu’il y a tout autant de raisons pour une personne de faire de l’apprentissage du français sa priorité comme de ne pas en faire sa priorité du tout. » (Julie Xuereb, médiatrice, Niort, association Coraplis)

« J’ai appris à prendre au sérieux, et à reconnaitre comme légitimes, les discours et réflexions qu’ils et elles [les apprenant·e·s] portent sur la technique didactique déployée dans les formations. (…) Il ne s’agit pas de généraliser ces préférences pédagogiques exprimées par quelques-un·e·s (…), mais la revendication qu’elles portaient en substance (le cours doit s’adapter à nos manières d’apprendre, et pas l’inverse) pousse à s’éloigner d’une autorité didactique descendante qui consiste à leur apprendre à apprendre de la ‘meilleure’ manière. » (Ulysse Bical, formateur bénévole, Paris, Le Cèdre)

« L’enthousiasme des apprenants (…) confirme pour moi que les démarches d’éducation populaire (développement du pouvoir d’agir, pratiques réflexives) sont essentielles. Les témoignages des apprenants m’ont beaucoup appris et ont déconstruit ou, pour certaines, renforcé des idées que je pensais clairement établies. (…) [En particulier,] la demande des personnes (…) de recourir aux langues maternelles et la traduction. (…) [Ou encore] la très grande diversité des attentes formatives des apprenants : ce qui est bon pour une personne ne l’est pas forcément pour une autre. » (Hélène Ceccato, coordinatrice, Paris, Le Cèdre)


  1. https://lefrancaispourtous.fr
  2. J’ai choisi d’utiliser l’écriture inclusive afin de ne pas désigner, par des termes masculins, des participant·e·s en majorité féminines. Pour ne pas alourdir le texte, je ne l’appliquerai cependant pas systématiquement.
  3. Dans le contexte français, les participant·e·s apprenant·e·s sont de tous types de profils : scolarisés ou non, ils suivent ou ont suivi des formations spécifiques (d’alphabétisation par exemple), ou plus générales. Ces différents profils peuvent aussi se retrouver mélangés au sein d’un même groupe-classe. Les formateur·rice·s impliqué·e·s sont bénévoles ou bien professionnel·le·s, selon les structures.
  4. Une lecture du projet de loi « asile et immigration » (voir : https://lefrancaispourtous.fr/
    index.php/2023/03/21/projet-de-loi-2023-positionnement-lfpt
    ) ; une tribune des apprenants (https://lefrancaispourtous.fr/la-tribune-des-apprenants) ; un document en construction recensant et illustrant des pistes de pratiques d’accompagnement des parcours d’apprentissage sans s’interdire de faire appel à d’autres langues.
  5. Pour en savoir plus, nous vous invitons à lire notre présentation de la recherche-action : https://lefrancaispourtous.fr/index.php/recherche-action
  6. Le français pour tous, L’accès au français pour tous : oui, mais comment ?, Livret de présentation, p. 8, http://lefrancaispourtous.fr/wp-content/uploads/Livret-presentation-RA-FpT.pdf
  7. Voir : Conseil de l’Europe, Apprentissage formel, non formel et informel, www.coe.int/fr/web/lang-migrants/formal-non-formal-and-informal-learning
  8. Philippe PERRENOUD, Mettre la pratique réflexive au centre du projet de formation, in Cahiers Pédagogiques, n°390, janvier 2001, www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2001/2001_02.html
  9. Sandrine RUI, Réflexivité, in Serge PAUGAM, Les 100 mots de la sociologie, PUF (Que sais-je ?), 2018 (2e édition), https://journals.openedition.org/sociologie/160
  10. Agence Universitaire de la Francophonie, Altéro-réflexivité, https://wiki.auf.org/glossairedlc/Index/Alt%C3%A9ro-r%C3%A9flexivit%C3%A9
  11. L’accès au français pour tous : oui, mais comment ?, op. cit., p. 9.
  12. Un enquêteur principal et trois enquêteurs en herbe, dont une apprenante participante.
  13. Pour plus de détails, voir : L’accès au français pour tous : oui, mais comment ?, op. cit., p. 10 (Héritages) et p. 12 (L’entretien compréhensif).
  14. Jean-Claude KAUFMANN, L’entretien compréhensif, Nathan, 1996.
  15. Par le chercheur-animateur, parfois aidé de participants formés à la transcription.
  16. Provenant de groupes-classes constitués exclusivement de Bangladais·e·s. Des classes entières sont ainsi parfois constituées d’une seule nationalité.
  17. Étudiant·e·s qui font eux-mêmes partie d’un dispositif de colocation solidaire.
  18. Voir : Une journée interculturelle et réflexive à l’AAPIQ de Rochefort, in COordination Régionale des Actions de Proximité de Lutte contre l’Illettrisme et d’accès aux Savoirs (Coraplis), 26 juin 2023, https://coraplis.net/journee-refugies-aapiq
  19. Lire à ce propos : Émilie LEBRETON et Eric MERCIER, Plurilinguisme(s) et appropriation du français par des adultes migrants, in Recherches en didactique des langues et des cultures, n°18-2, 2021, https://journals.openedition.org/rdlc/10234?lang=en
  20. Voir : Philippe BLANCHET, Non, la langue française n’est pas une condition à l’intégration des migrants, in The conversation, 20 juin 2023, https://theconversation.com/non-la-langue-francaise-nest-pas-une-condition-a-lintegration-des-migrants-206693